C.
Instauration du protectorat français au Cambodge
Conformément aux instructions de S.M. Ang-Duong, le Conseil des hauts dignitaires, réuni par la reine mère, choisit le prince Ang Votey, fils aîné du roi défunt, alors âgé de 26 ans, comme roi du Cambodge. Sous le nom de Norodom, Ang Votey fut aussitôt intronisé.
Nous sommes en 1860 et la France occupe Saïgon depuis un an.
En mars 1861, la France avise le roi Norodom de son intention de fonder “un établissement durable en Cochinchine.”
Le 5 juin 1862, un traité exigeait de Tu-Duc, la cession à la France des trois provinces complètes de Bien Hoa (Saïgon) et Dinh-Tuong (Mytho) ainsi que Poulo-Condore (“L’empire khmer ”, G. Maspero, p. 879).
Entre temps, l’amiral Charner, successeur de Rigault de Genouilly, dans une lettre adressée au roi Norodom, s’est employé à endormir la méfiance de ce dernier.
“Les derniers événements de la Cochinchine sont parvenus à la connaissance de Votre Majesté. Elle sait que les troupes franco-espagnoles ont chassé les annamites, que Saïgon est dégagé et que l’armée ennemie vaincue s’est dispersée. Les populations des environs, à de grandes distances, sont venues faire leur soumission et acceptés la protection qui leur était offerte. L’intention de la France est de conserver sa conquête, de fonder dans la Basse-Cochinchine une colonie et d’y apporter tous les bienfaits de la civilisation européenne.”
Sans ambage, l’amiral montre sa puissance et souligne l’inutilité de toute résistance. S’il daigne s’adresser au roi du Cambodge, c’est moins pour l’informer de ses intentions que pour l’inviter à ne pas s’y opposer. Parler des bienfaits de la civilisation européenne ajoute à l’ironie du propos.
L’amiral ajoute:
“Je viens assurer Votre Majesté de nos meilleures intentions à l’égard du Cambodge et répondre aux avances de paix et d'amitié que le roi, votre père, Sire, a souvent faites au représentant du noble Empereur des Français à Saïgon. J ’ai l’honneur d’informer aussi Votre Majesté que je compte, dans un temps peu éloigné, porter nos forces à Mytho et m’emparer de cette place, dernière défense des Annamites vers le Cambodge.”
Cette lettre est en somme une réponse à celle de S.M. Ang-Duong. En termes polis elle laisse clairement entendre que l’amiral Charner se soucie fort peu des droits du Cambodge sur la Cochinchine qu’il entend coloniser avec l'assentiment du Gouvernement français.
L’occupation de la Cochinchine doit entraîner la mainmise sur la Cambodge, André Mogot (“Les Khmers", p. 303) donne la raison :
“De son côté, la France, installée en Cochinchine, pouvait difficilement admettre que son voisin direct, le Cambodge, restât placé sous le contrôle du Siam, puissance soutenue par l’Angleterre.”
Paul d’Enjoy (“La colonisation de la Cochinchine ” p. 10) sur l’opportunité de cette colonisation, écrit de son côté:
“Je sais bien qu’on objectera l’opposition de l’Angleterre. Mais si nous devons céder à chaque réclamation de l’Angleterre, nous ne tarderons pas à être expulsés de toutes nos colonies... ”
Les Français ne tiennent donc pas à avoir comme voisin un Cambodge placé sous la menace directe du Siam derrière lequel se tient la Grande Bretagne.
La France s’empresse donc de négocier avec S.M. Norodom.
En juin 1862, le lieutenant de vaisseau Doudart de Lagrée est envoyé par l’amiral de Lagrandière en mission au Cambodge, afin de “se mettre en relation avec Norodom, de parcourir la contrée, de sillonner les fleuves en un mot de pénétrer un peu de tous côtés pour arriver à s’affirmer partout.”
La mission de Doudart de Lagrée est très délicate car elle est étroitement surveillée par les espions siamois.
N’étant pas sûr de cette mission, l’amiral de Lagrandière se rend personnellement à Oudong, assisté de l’évêque Miche, il réussit à convaincre S. M. Norodom de signer la traité de 1863.
“Il est difficile (“Les Khmers” A. Migot, p. 304) d’affirmer que cette signature du roi du Cambodge ait été totalement volontaire, la présence d’une canonnière française dans les eaux de Phnom-Penh, ne fut peut-être pas étrangère à l’acceptation du Roi.”
Après maintes difficultés, le traité fut ratifié de part et d’autre le 17 avril 1863.
Un an après sa signature, S.M. Norodom se rend à Saïgon afin d’y accomplir des démarches auprès des autorités françaises en vue de rentrer en possession des provinces cambodgiennes de Cochinchine.
Ces démarches, signalées plus loin, restent sans effet, les Français n’en tiennent aucun compte et, tout au contraire, s’empressent de terminer la conquête de la Cochinchine.
Les 20, 22 et 24 juin 1867, l’amiral de Lagrandière “s'emparait sous coup férir les provinces de Vinh-Long, Chaudoc et Hatien, ce qui nous rendait maître de toute la Cochinchine” (Maspero).
Sans consulter ni le roi khmer ni les personnalités françaises compétentes présentes sur place, la France, pour avoir la main libre sur le Cambodge, signe, la même année avec le Siam, le traité de 1867 qui accorde à ce dernier la possession des deux provinces cambodgiennes de Battambang et d’Angkor en contre-partie de la liberté que le Siam laisse à la France au Cambodge. C’était “une trahison flagrante” comme l’écrit A. Migot ( “Les Khmers” p. 308):
“Un grave événements était d’ailleurs venu renforcer la plan des opposants au traité de protectorat: la signature en 1867 par la France d'un traité avec le Siam. Paraissant ignorer les innombrables avertissements que Doudart de Lagrée avait adressées au Ministère de la marine, dont dépendait l’Indochine, le Ministère des Affaires étrangères, décida de signer un traité franco-siamois qui accordait au Siam la possession des deux provinces cambodgiennes de Battambang et d’Angkor. Il maintenait par surcroît les droits d’occupation du Siam sur les provinces de Melou Prei et Tonlé-Repou qu’il tenait depuis nombre d’années. C’était une trahison flagrante vis-à-vis du Cambodge: la France qui, aux termes du traité du protectorat, s’était engagée à protéger contre les prétentions du Siam, livrait délibérément à celui-ci deux des plus belles provinces cambodgiennes, sans même avoir consulté Norodom.
"A la nouvelle du traité, S. M. Norodom et l’amiral de Lagrandière protestèrent énergiquement, mais l’acte était signé, il n’était plus question d’y revenir”.
Quoiqu’il en soit, le traité de 1867 est signé.
A la perte de ses provinces de l’Est s’ajoutera, plus tard, pour le Cambodge, l’aggravation de la tutelle que la France fait peser sur lui.
Le 17 juin 1884, S. M. Norodom est contraint de signer une convention complétant, dit-on, le traité de 1863. Cette convention est en fait “une ingérence indéniable de la France dans les affaires intérieures cambodgiennes”. (A. Migot)
En 1897, “un autre traité complétera celui de 1884 imposé par la force et la menace comme premier, et enlevant au Roi le peu d’autorité et d’initiative qui lui restait. Il instaura au Cambodge, sous la fiction du protectorat, un véritable régime de dictature coloniale, dépossédant les autorités cambodgiennes de tous pouvoirs”, (“Les Khmers”, A. Migot, p. 311.)
Un extrait, ci-après du régime adressé par le prince Yukanthor au gouvernement français permet d’apprécier dans quelles circonstances eut lieu la rectification des deux traité de protectorat de 1884 et de 1897.
“Le gouvernement français ne sait pas, sans doute, comment ont été obtenus les deux instruments qui, en 1884 et 1887, ont marqué les phases principales de l’abdication des pouvoirs royaux entre les mains des agents du Protectorat.
“En 1884, c’est par le coup de force, envahissant le palais, mettant ses baïonnettes sur la gorge du Roi, menaçant de l’enlever, de le déporter, que M. Thompson obtient le traité qui lui livrait tous les pouvoirs politiques au Cambodge.
“En 1897, c’est également par la menace et par l’emploi de la force, moins brutalement, mais tout aussi impitoyablement que M. Doumer a obtenu ce qui restait au Roi de pouvoirs administratifs, en même temps que tous ses droits économiques et la possession territoriale du Royaume... ”
Pour le professeur Marcel Sibert, “De telles conditions firent de ce protectorat une annexion déguisée” (Traité de droit international des peuples, p. 167).
Après ces humiliations imposées aux Cambodgiens, la France s’efforce par la suite de rétablir son prestige.
Par des manoeuvres et des pressions diplomatiques accompagnées de démonstrations de force, la France obtient du Siam la signature du traité de 1902, par lequel le Siam rétrocède à la France les deux provinces cambodgiennes de Melou Prei et Tonlé-Repou, mais conserve toutefois celles de Battambang et d’Angkor.
Se rendant compte, par la suite, “de la valeur de l’immense grenier à riz représenté par les provinces cédées au Siam, la France n’avait plus aucune raison de ménager Bangkok, dont la puissance militaire était du reste faible”. (A. Migot).
Elle impose alors au Siam, le 23 mars 1907, un traité qui, en échange de Dan-Sai, de Kratt et des îles situées au sud du cap Lam-Sing, rendait à la France les provinces de Battambang, Siamréap et Sisophon ”.
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