CONCLUSION
L’histoire du Kampuchéa Krom ou Bas-Cambodge, appelé pendant la période coloniale Cochinchine, est attestée par les sites, les monuments, la toponymie, l’onomastique, la légende, la tradition et les textes anciens.
Cette histoire, dont les sources principales sont rappelées dans le présent mémoire, établit, d’une part, que dès l’ère du Fou-nan, avant le début de l’ère chrétienne, et jusqu’à la pression viêtnamienne qui se manifesta au XVIIIè siècle, la Cochinchine fut occupée par les Khmers et constitua la partie orientale du royaume du Cambodge quand celui-ci fut définitivement constitué par Jayavarman II, au début du IXè siècle.
L’histoire établit également que la présence khmère fut constante et qu’elle s’affirma par la résistance à l’invasion viêtnamienne venue du royaume d’Annam, quand les Viêtnamiens cherchèrent à étendre leur domaine au détriment du royaume khmer.
À suite de cette invasion, l’occupation viêtnamienne resta toujours précaire et jamais les rois khmers n’acceptèrent de céder aux rois annamites une seule parcelle du territoire envahi.
Le seul accord qui aurait été conclu entre les souverains, fut l’autorisation donné, en 1623, par le roi Chey Chesda II au roi Trân-Cao du Dai-Viêt (appelé communément Annam), d’occuper pendant cinq années seulement (pour l’entraînement de ses troupes) des terrains situés près de Prey Nokor, l’actuelle Saïgon.”
On sait que le roi d’Annam eut violé cet accord et que la poussée annamite alla en s’intensifiant, Saïgon fut occupée en 1696 et, en progressant le long de la côte, les Annamites arrivèrent à Peam (Ha-Tiên) en 1714.
Cependant les Viêtnamiens n’arrivèrent pas avant 1847 à imposer leur autorité aux Khmer krom. Ce ne fut que vers 1849 qu’ils essayèrent d’appliquer à l’encontre des Khmers krom leur “régime colonial”.
Bien qu’en lutte perpétuelle avec les Khmers qui entendaient se maintenir sur la terre de leurs ancêtres, les Viêtnamiens réussirent à se maintenir en Cochinchine jusqu’à ce qu’ils fussent eux-mêmes soumis à la pression des Français qui, de leur côté, entendaient installer leur influence et leur autorité dans la péninsule indochinoise.
S. M. Ang Duong saisit cette occupation pour réaffirmer, dans un document d’une parfaite clarté, adressé à l’empereur Napoléon III, en 1856, les droits souverains du Cambodge sur la Cochinchine.
Reflétant une grande sagesse de la part de son auteur, ce document, après avoir rappelé les circonstances de l’invasion, distingue dans l’antique territoire khmer envahi par les Annamites deux parties.
La première concerne le srok Donnai “devenu annamite par simple occupation paisible, il y a deux cents ans”, la seconde comprend les autres srok au sud du précédent “que les Annamites se sont appropriés”, elle va “de la rive occidentale du fleuve de Saikong jusqu’au Peam (Hatiên)”. Cette partie ainsi que les deux îles (Phu-Quôc, Poulo-Condore) “doivent rester cambodgiennes comme
auparavant. Quant à la région se trouvant sur la rive orientale du fleuve Saikong que les Annamites ont occupé depuis longtemps, Nous ne la réclamons pas.”
Pressentant un accord, au détriment de son royaume, entre les deux envahisseurs, l’ancien et le nouveau, le roi Ang Duong ne manque point d’écrire “Nous prierons Sa Majesté l’Empereur des Français de ne pas les accepter, parce que cette contrée était vraiment terre cambodgienne.”
Nonobstant cette notification qui était aussi une mise en garde, les Français traitèrent, en 1862, avec l’empereur Tu Duc. La Cochinchine devenait colonie française à l’exception des trois provinces de Vinhlong, Chaudoc et Hatien. En 1867, les Français occupaient par la force ces dernières provinces pour répondre aux soulèvements des Cambodgiens dirigés contre la tutelle annamite.
Dans leurs intérêts, les Français incorporèrent le plus possible de territoires à la Cochinchine. C’est ainsi que les territoires entièrement placés sous l’autorité directe du roi du Cambodge, tel que le srok Svay-Torng (au Triton) peuplé presque exclusivement de Cambodgiens, et la province de Tay-Ninh furent rattachés unilatéralement à la Cochinchine par la France, cette dernière province étant annexée pour permettre aux colons français d’y installer des plantations de caoutchouc sur les terres rouges.
Contrainte moins d’un siècle après d’évacuer l’Indochine, la France, sans égards aux protestations énergiques de S. M. Norodom Sihanouk, alors souverain régnant au Cambodge, cédait la Cochinchine, un territoire cambodgien, à S. M. l’empereur Bao-Dai, empereur d’Annam.
Ainsi, par deux fois en moins d’un siècle, des occupants étrangers violaient la souveraineté du Cambodge sur la Cochinchine. Par des accords conclus au mépris du droit international et comme tels “nuls de plein droit”, ils se transféraient mutuellement un territoire qui ne leur appartenait pas et qui relevait de facto comme de jure de la souveraineté cambodgienne.
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X X
En comparant avec les autres dates d’occupation coloniale, celle de Goa par exemple, par les Portugais en 1654 (en cette année, le peuple goanais résistait déjà à l’impérialisme portugais) ou l’Irian occidental en 1605 (début de l’empire colonial des Indes Néerlandaises), l’occupation annamite et ensuite celle des Français de provinces khmères de Cochinchine étaient de dates très récentes. Effectivement les Viêtnamiens, avant l’occupation française, ne purent exercer leur autorité sur les provinces de Transbassac (partie allant de la rive occidentale du fleuve Saikong jusqu’au Peam, y compris les deux îles) qu’à partir de 1849. Quant aux Français, ils ne purent s’emparer de ces provinces qu’à partir de 1867.
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Il convient, à ce sujet, de souligner la sagesse du roi Ang Duong qui sut fort bien discerner, avant la lettre, la situation juridique internationale du territoire de la Cochinchine.
Situation juridique fondée, d’une part, sur les accords explicites, conventions ou traités dûment écrits et ratifiés, conclus entre états souverains, fondée d’autre part, sur les accords tacites résultant d’une situation de fait confirmée par le temps et acceptée par les parties intéressées.
C’est ainsi que Sa Majesté Ang Duong déclare ne point revendiquer pour le Cambodge le srok Donnai ancien territoire khmer “devenu annamite par simple occupation paisible” durant deux cents ans.
Il n’en va pas de même pour les autres srok du Bas-Cambodge où l’occupation annamite ne fut nullement paisible pour avoir été constamment combattue.
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x
Comme le rappelle la première partie de ce mémoire, la souveraineté d’un État sur une partie de son territoire ne saurait être déplacée sans son consentement.
Si l’invasion porte atteinte à l’intégrité territoriale de l’État considéré, elle ne saurait porter atteinte à sa souveraineté sur la partie de son territoire envahie et indûment occupée.
Cette souveraineté reste pleine et entière tant qu’un accord n’intervient pas entre les deux parties pour en effectuer le transfert. Pour être valable, cet accord doit-il être encore conclu sans qu’une intolérable pression soit exercée par l’une des parties sur l’autre. Nous disons intolérable car, rares sont les accords de l’espèce signés sans quelque contrainte exercée d’une part ou d’autre.
Afin de ne point être considérée comme un consentement tacite au transfert de souveraineté, l’occupation ne doit pas être paisible et le refus de consentement doit s’accompagner d’une constante résistance à l’occupant. Cette résistance pouvant se manifester soit par les actes, c’est à dire par la lutte armée, soit sous la forme de protestations écrites ou verbales réitérées quand l’occasion s’en présente.
Ces conditions étant remplies, la souveraineté de l’État sur les parties de son territoire envahi et occupé par l’étranger reste pleine et entière bien qu’il ne soit plus en mesure de l’exercer.
Le droit international, comme nous l’avons vu, établit la distinction entre la souveraineté et l’exercice de la souveraineté. Les avènements qui empêchent celui-ci ne font nullement disparaître celle-là qui, en droit, reste intangible tant que sont satisfaites les conditions précitées touchant le refus de consentement au transfert de ladite souveraineté.
En ce qui concerne le Kampuchea krom, ces conditions, résistance à l’occupant ou protestations contre l’occupant, furent, nous l’avons également vu, remplies tant sous l’occupation annamite que sous l’occupation française et à fortiori depuis la fin de celle-ci et le transfert, en 1948, du Kampuchea krom à l’État devenu la République du Viêtnam.
Connaissant parfaitement cette situation “de jure” du Kampuchea krom, affirmée par la présence sur ce territoire d’une population khmère de six cent mille âmes, le gouvernement de la République du Viêtnam entend bien la faire évoluer à son profit en faisant disparaître cette présence khmère d’un territoire sur lequel il n’exerce qu’une souveraineté “de facto” qui n’altère en rien la souveraineté “de jure” du Cambodge.
À cet effet, le gouvernement en question se refuse à reconnaître l’existence des Khmers en tant que tels, sur un sol qui fut celui de leurs ancêtres. Depuis le départ des Français, ces Khmers sont l’objet d’une politique d’assimilation intense qui, devant les résistances rencontrées, se mue en politique d’extermination, et celle-ci, en maintes occasions, prend des allures de génocide.
À cette politique d’élimination des Khmers du Kampuchea krom, le gouvernement de la République du Viêtnam ajoute la poursuite des visées expansionnistes de l'ancienne cour de Hué et, depuis 1960, il revendique cinq îles côtières cambodgiennes voisines de la pointe de Réam.
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X X
Aux situations de fait portant atteintes à son intégrité territoriale comme aux tentatives perpétrées en vue d’y porter encore atteinte, le Cambodge ne saurait opposer que ces protestations.
Les instances internationales, l’Organisation des Nations et ses institutions en l'occurrence, restent son seul recours, comme elles sont le seul recours des petites nations.
À défaut de pouvoir obtenir l’appui de ces hautes instances internationales pour recouvrer ses provinces du Kampuchea krom, le Cambodge entend au moins voir l’Organisation des Nations unies intervenir pour en protéger les ressortissants khmers. Ces Khmer krom sur lesquels le Cambodge n’est plus en mesure d’exercer une souveraineté dont il ne cesse de réclamer en raison même de leur existence.
C’est l’appel que lançait, le 29 septembre 1961, à la XVIè session de l’assemblée générale des Nations Unies, S.A.R le prince Norodom Sihanouk:
“Ce problème nous touche directement; car 600.000 de nos compatriotes vivent au Sud-Viêtnam, dans les conditions les plus difficiles, et n’ont pratiquement aucun recours contre les mesures d’exception qui les frappent. La communauté cambodgienne du Sud-Viêtnam est formée des premiers occupants du sol, submergés par les invasions viêtnamiennes, mais conservant une profonde unité de religion, de langue, de coutumes et de traditions. En vertu d’une décision arbitraire du Gouvernement sud-viêtnamien, cette communauté se vit imposer la nationalité viêtnamienne et refuser le droit de conserver ses coutumes, sa langue, la forme même du culte bouddhique (...). Ces atteintes aux droits sacrés de la personne humaine furent complétées (...) par des mesures d’exception d’une extrême brutalité (...). Plusieurs centaines de ces infortunés compatriotes tentèrent de fuir cette oppression pour venir chercher refuge en territoire national cambodgien; ils ont été pourchassés, arrêtés, torturés, mitraillés (...).
“Le problème de la minorité cambodgienne du Sud-Viêtnam n’est pas unique dans le monde. C’est pourquoi je crois qu’il serait nécessaire que les Nations Unies s’attachent à mieux protéger les droits de groupes humains livrés pieds et poings liés à l'arbitraire”./-
[1] Membre de l'Institut bouddhique, section de Cochinchine.
[2] Plus loin, à la rubrique "Archéologie du Bas- Cambodge" de nombreuses indications, ressortant de la légende rapportée par le Vénérable Thach Pang, et se rapportant à l'origine des provinces, localités ou monastères du Kampuchea krom seront confirmées par les découvertes de L. Malleret.
[3] Par "Bouddha" il convient d'entendre des êtres supérieurs et non le Bouddha Çakya Muni venu bien après l'époque que concerne cette légende.
[4] L. Malleret cite une autre légende rappelée plus loin.
[5] La transcription exacte, d'après Thach Pang, serait "Athikvongsa".
[6] Ou d'après Malleret "Po Leav".
[7] La Barira des Espagnols et des Portugais, où débarqua Beloso en 1597 quand il revint de Manille, peu de temps avant d'assassiner Râma dit Choeung-prey.
[8] "Pol Leav" d'après le Vénérable Thach Pang. Malleret a conservé "Pô Loeuh".
[9] Chrouy khmer ou pointe de Camboia.
[10] Bay chhau = riz mal cuit.
[11] La toponymie de ce nom est indiquée plus loin.
[12] Krâmuon Sâr = cire blanche.
[13] Cette toponymie est confirmée par les manuscrits du Vénérable Thach Pang.
[14] Malleret dit "Koh Trâl ou Koh Sral"
[15] D'après le Vénérable Thach Pang, c'est le Koh Krabey que le roi d'Annam demandait à titre de prêt pendant 5 ans pour l'entraînement de ses soldats.
L’histoire du Kampuchéa Krom ou Bas-Cambodge, appelé pendant la période coloniale Cochinchine, est attestée par les sites, les monuments, la toponymie, l’onomastique, la légende, la tradition et les textes anciens.
Cette histoire, dont les sources principales sont rappelées dans le présent mémoire, établit, d’une part, que dès l’ère du Fou-nan, avant le début de l’ère chrétienne, et jusqu’à la pression viêtnamienne qui se manifesta au XVIIIè siècle, la Cochinchine fut occupée par les Khmers et constitua la partie orientale du royaume du Cambodge quand celui-ci fut définitivement constitué par Jayavarman II, au début du IXè siècle.
L’histoire établit également que la présence khmère fut constante et qu’elle s’affirma par la résistance à l’invasion viêtnamienne venue du royaume d’Annam, quand les Viêtnamiens cherchèrent à étendre leur domaine au détriment du royaume khmer.
À suite de cette invasion, l’occupation viêtnamienne resta toujours précaire et jamais les rois khmers n’acceptèrent de céder aux rois annamites une seule parcelle du territoire envahi.
Le seul accord qui aurait été conclu entre les souverains, fut l’autorisation donné, en 1623, par le roi Chey Chesda II au roi Trân-Cao du Dai-Viêt (appelé communément Annam), d’occuper pendant cinq années seulement (pour l’entraînement de ses troupes) des terrains situés près de Prey Nokor, l’actuelle Saïgon.”
On sait que le roi d’Annam eut violé cet accord et que la poussée annamite alla en s’intensifiant, Saïgon fut occupée en 1696 et, en progressant le long de la côte, les Annamites arrivèrent à Peam (Ha-Tiên) en 1714.
Cependant les Viêtnamiens n’arrivèrent pas avant 1847 à imposer leur autorité aux Khmer krom. Ce ne fut que vers 1849 qu’ils essayèrent d’appliquer à l’encontre des Khmers krom leur “régime colonial”.
Bien qu’en lutte perpétuelle avec les Khmers qui entendaient se maintenir sur la terre de leurs ancêtres, les Viêtnamiens réussirent à se maintenir en Cochinchine jusqu’à ce qu’ils fussent eux-mêmes soumis à la pression des Français qui, de leur côté, entendaient installer leur influence et leur autorité dans la péninsule indochinoise.
S. M. Ang Duong saisit cette occupation pour réaffirmer, dans un document d’une parfaite clarté, adressé à l’empereur Napoléon III, en 1856, les droits souverains du Cambodge sur la Cochinchine.
Reflétant une grande sagesse de la part de son auteur, ce document, après avoir rappelé les circonstances de l’invasion, distingue dans l’antique territoire khmer envahi par les Annamites deux parties.
La première concerne le srok Donnai “devenu annamite par simple occupation paisible, il y a deux cents ans”, la seconde comprend les autres srok au sud du précédent “que les Annamites se sont appropriés”, elle va “de la rive occidentale du fleuve de Saikong jusqu’au Peam (Hatiên)”. Cette partie ainsi que les deux îles (Phu-Quôc, Poulo-Condore) “doivent rester cambodgiennes comme
auparavant. Quant à la région se trouvant sur la rive orientale du fleuve Saikong que les Annamites ont occupé depuis longtemps, Nous ne la réclamons pas.”
Pressentant un accord, au détriment de son royaume, entre les deux envahisseurs, l’ancien et le nouveau, le roi Ang Duong ne manque point d’écrire “Nous prierons Sa Majesté l’Empereur des Français de ne pas les accepter, parce que cette contrée était vraiment terre cambodgienne.”
Nonobstant cette notification qui était aussi une mise en garde, les Français traitèrent, en 1862, avec l’empereur Tu Duc. La Cochinchine devenait colonie française à l’exception des trois provinces de Vinhlong, Chaudoc et Hatien. En 1867, les Français occupaient par la force ces dernières provinces pour répondre aux soulèvements des Cambodgiens dirigés contre la tutelle annamite.
Dans leurs intérêts, les Français incorporèrent le plus possible de territoires à la Cochinchine. C’est ainsi que les territoires entièrement placés sous l’autorité directe du roi du Cambodge, tel que le srok Svay-Torng (au Triton) peuplé presque exclusivement de Cambodgiens, et la province de Tay-Ninh furent rattachés unilatéralement à la Cochinchine par la France, cette dernière province étant annexée pour permettre aux colons français d’y installer des plantations de caoutchouc sur les terres rouges.
Contrainte moins d’un siècle après d’évacuer l’Indochine, la France, sans égards aux protestations énergiques de S. M. Norodom Sihanouk, alors souverain régnant au Cambodge, cédait la Cochinchine, un territoire cambodgien, à S. M. l’empereur Bao-Dai, empereur d’Annam.
Ainsi, par deux fois en moins d’un siècle, des occupants étrangers violaient la souveraineté du Cambodge sur la Cochinchine. Par des accords conclus au mépris du droit international et comme tels “nuls de plein droit”, ils se transféraient mutuellement un territoire qui ne leur appartenait pas et qui relevait de facto comme de jure de la souveraineté cambodgienne.
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En comparant avec les autres dates d’occupation coloniale, celle de Goa par exemple, par les Portugais en 1654 (en cette année, le peuple goanais résistait déjà à l’impérialisme portugais) ou l’Irian occidental en 1605 (début de l’empire colonial des Indes Néerlandaises), l’occupation annamite et ensuite celle des Français de provinces khmères de Cochinchine étaient de dates très récentes. Effectivement les Viêtnamiens, avant l’occupation française, ne purent exercer leur autorité sur les provinces de Transbassac (partie allant de la rive occidentale du fleuve Saikong jusqu’au Peam, y compris les deux îles) qu’à partir de 1849. Quant aux Français, ils ne purent s’emparer de ces provinces qu’à partir de 1867.
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Il convient, à ce sujet, de souligner la sagesse du roi Ang Duong qui sut fort bien discerner, avant la lettre, la situation juridique internationale du territoire de la Cochinchine.
Situation juridique fondée, d’une part, sur les accords explicites, conventions ou traités dûment écrits et ratifiés, conclus entre états souverains, fondée d’autre part, sur les accords tacites résultant d’une situation de fait confirmée par le temps et acceptée par les parties intéressées.
C’est ainsi que Sa Majesté Ang Duong déclare ne point revendiquer pour le Cambodge le srok Donnai ancien territoire khmer “devenu annamite par simple occupation paisible” durant deux cents ans.
Il n’en va pas de même pour les autres srok du Bas-Cambodge où l’occupation annamite ne fut nullement paisible pour avoir été constamment combattue.
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Comme le rappelle la première partie de ce mémoire, la souveraineté d’un État sur une partie de son territoire ne saurait être déplacée sans son consentement.
Si l’invasion porte atteinte à l’intégrité territoriale de l’État considéré, elle ne saurait porter atteinte à sa souveraineté sur la partie de son territoire envahie et indûment occupée.
Cette souveraineté reste pleine et entière tant qu’un accord n’intervient pas entre les deux parties pour en effectuer le transfert. Pour être valable, cet accord doit-il être encore conclu sans qu’une intolérable pression soit exercée par l’une des parties sur l’autre. Nous disons intolérable car, rares sont les accords de l’espèce signés sans quelque contrainte exercée d’une part ou d’autre.
Afin de ne point être considérée comme un consentement tacite au transfert de souveraineté, l’occupation ne doit pas être paisible et le refus de consentement doit s’accompagner d’une constante résistance à l’occupant. Cette résistance pouvant se manifester soit par les actes, c’est à dire par la lutte armée, soit sous la forme de protestations écrites ou verbales réitérées quand l’occasion s’en présente.
Ces conditions étant remplies, la souveraineté de l’État sur les parties de son territoire envahi et occupé par l’étranger reste pleine et entière bien qu’il ne soit plus en mesure de l’exercer.
Le droit international, comme nous l’avons vu, établit la distinction entre la souveraineté et l’exercice de la souveraineté. Les avènements qui empêchent celui-ci ne font nullement disparaître celle-là qui, en droit, reste intangible tant que sont satisfaites les conditions précitées touchant le refus de consentement au transfert de ladite souveraineté.
En ce qui concerne le Kampuchea krom, ces conditions, résistance à l’occupant ou protestations contre l’occupant, furent, nous l’avons également vu, remplies tant sous l’occupation annamite que sous l’occupation française et à fortiori depuis la fin de celle-ci et le transfert, en 1948, du Kampuchea krom à l’État devenu la République du Viêtnam.
Connaissant parfaitement cette situation “de jure” du Kampuchea krom, affirmée par la présence sur ce territoire d’une population khmère de six cent mille âmes, le gouvernement de la République du Viêtnam entend bien la faire évoluer à son profit en faisant disparaître cette présence khmère d’un territoire sur lequel il n’exerce qu’une souveraineté “de facto” qui n’altère en rien la souveraineté “de jure” du Cambodge.
À cet effet, le gouvernement en question se refuse à reconnaître l’existence des Khmers en tant que tels, sur un sol qui fut celui de leurs ancêtres. Depuis le départ des Français, ces Khmers sont l’objet d’une politique d’assimilation intense qui, devant les résistances rencontrées, se mue en politique d’extermination, et celle-ci, en maintes occasions, prend des allures de génocide.
À cette politique d’élimination des Khmers du Kampuchea krom, le gouvernement de la République du Viêtnam ajoute la poursuite des visées expansionnistes de l'ancienne cour de Hué et, depuis 1960, il revendique cinq îles côtières cambodgiennes voisines de la pointe de Réam.
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Aux situations de fait portant atteintes à son intégrité territoriale comme aux tentatives perpétrées en vue d’y porter encore atteinte, le Cambodge ne saurait opposer que ces protestations.
Les instances internationales, l’Organisation des Nations et ses institutions en l'occurrence, restent son seul recours, comme elles sont le seul recours des petites nations.
À défaut de pouvoir obtenir l’appui de ces hautes instances internationales pour recouvrer ses provinces du Kampuchea krom, le Cambodge entend au moins voir l’Organisation des Nations unies intervenir pour en protéger les ressortissants khmers. Ces Khmer krom sur lesquels le Cambodge n’est plus en mesure d’exercer une souveraineté dont il ne cesse de réclamer en raison même de leur existence.
C’est l’appel que lançait, le 29 septembre 1961, à la XVIè session de l’assemblée générale des Nations Unies, S.A.R le prince Norodom Sihanouk:
“Ce problème nous touche directement; car 600.000 de nos compatriotes vivent au Sud-Viêtnam, dans les conditions les plus difficiles, et n’ont pratiquement aucun recours contre les mesures d’exception qui les frappent. La communauté cambodgienne du Sud-Viêtnam est formée des premiers occupants du sol, submergés par les invasions viêtnamiennes, mais conservant une profonde unité de religion, de langue, de coutumes et de traditions. En vertu d’une décision arbitraire du Gouvernement sud-viêtnamien, cette communauté se vit imposer la nationalité viêtnamienne et refuser le droit de conserver ses coutumes, sa langue, la forme même du culte bouddhique (...). Ces atteintes aux droits sacrés de la personne humaine furent complétées (...) par des mesures d’exception d’une extrême brutalité (...). Plusieurs centaines de ces infortunés compatriotes tentèrent de fuir cette oppression pour venir chercher refuge en territoire national cambodgien; ils ont été pourchassés, arrêtés, torturés, mitraillés (...).
“Le problème de la minorité cambodgienne du Sud-Viêtnam n’est pas unique dans le monde. C’est pourquoi je crois qu’il serait nécessaire que les Nations Unies s’attachent à mieux protéger les droits de groupes humains livrés pieds et poings liés à l'arbitraire”./-
[1] Membre de l'Institut bouddhique, section de Cochinchine.
[2] Plus loin, à la rubrique "Archéologie du Bas- Cambodge" de nombreuses indications, ressortant de la légende rapportée par le Vénérable Thach Pang, et se rapportant à l'origine des provinces, localités ou monastères du Kampuchea krom seront confirmées par les découvertes de L. Malleret.
[3] Par "Bouddha" il convient d'entendre des êtres supérieurs et non le Bouddha Çakya Muni venu bien après l'époque que concerne cette légende.
[4] L. Malleret cite une autre légende rappelée plus loin.
[5] La transcription exacte, d'après Thach Pang, serait "Athikvongsa".
[6] Ou d'après Malleret "Po Leav".
[7] La Barira des Espagnols et des Portugais, où débarqua Beloso en 1597 quand il revint de Manille, peu de temps avant d'assassiner Râma dit Choeung-prey.
[8] "Pol Leav" d'après le Vénérable Thach Pang. Malleret a conservé "Pô Loeuh".
[9] Chrouy khmer ou pointe de Camboia.
[10] Bay chhau = riz mal cuit.
[11] La toponymie de ce nom est indiquée plus loin.
[12] Krâmuon Sâr = cire blanche.
[13] Cette toponymie est confirmée par les manuscrits du Vénérable Thach Pang.
[14] Malleret dit "Koh Trâl ou Koh Sral"
[15] D'après le Vénérable Thach Pang, c'est le Koh Krabey que le roi d'Annam demandait à titre de prêt pendant 5 ans pour l'entraînement de ses soldats.
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