jeudi 18 octobre 2007

I. Lettre de S.M. Ang Duong

I.
S.M. Ang Duong notifie à la France les droits territoriaux du Cambodge sur le Kampuchéa Krom avant que cette dernière n’occupât irrégulièrement la Cochinchine.

S.M. Ang-Duong envoya, nous l’avons dit, deux importants messages à Napoléon III, empereur des Français.

Dans le premier message, accompagné d’importants présents envoyés en novembre 1853, S.M. Ang Duong témoigne à Napoléon III son amitié et lui demande aide et assistance pour défendre son Royaume et, plus encore, pour récupérer les terres enlevées à ses ancêtres.

Napoléon III ne répondit pas à ce message.

Dans le second message envoyé en 1856, S.M. Ang Duong, après avoir appris l’occupation par la France de certaines provinces de l’Est-Cochinchinois et les négociations en cours entre l’empereur Tu Duc d’Annam et la France, pour la cession de ces provinces, expose les droits territoriaux du Cambodge sur le Kampuchéa Krom.

Ang-Duong demande à l’empereur de ne recevoir du roi des Annamites “aucune offre territoriale prélevée sur cette contrée khmère”.

La teneur de cette figure dans “L’histoire de la Thaïlande, 4ème règne, 2394 à 2411 de l'ère bouddhique” traduite en français dans “Rois de Kampuchéa” p. 2, elle est reproduite plus loin.

Elle fut envoyée à l’empereur Napoléon III plus de sept années avant la conclusion du traité du 5 juin 1862, par lequel l’empereur Tu-Duc cède à la France les provinces de Bien-Hoa, Dinh-Tuong et de Pulo-Condore.

Valant notification juridique des droits du Cambodge sur les dites provinces, elle rend nul de plein droit le traité souscrit en méconnaissance de ces droits.

Lettre de sa Majesté Preah Hariraks Préah Ang Duong, Roi du Cambodge à Sa Majesté Napoléon III, Empereur des Français.

NOUS,
Préah Hariraks Mohaessara Thippadey......... Roi du Cambodge,
Éprouvons une amitié sincère pour Sa Majesté Impériale Napoléon III, Empereur des Français.
Désireux de témoigner Notre sincérité envers Sa Majesté,
Avons l’honneur de lui faire connaître que Nous sommes très heureux de la visite qui Nous a été faite par l’envoyé de Votre Majesté M. de Montigny, Nous avons ordonné à trois grands mandarins du Royaume du Cambodge et à quinze mandarins secondaires d’aller Lui souhaiter la bienvenue à Kampot, parce que depuis plusieurs années, des missionnaires français résidant au Cambodge Nous avaient appris, avec beaucoup d’éloges, que l’Empereur des Français adoptait une attitude tout à fait miséricordieuse vis-à-vis de toutes les nations; qu’au lieu de porter atteinte aux intérêts des autochtones, Il les protégeait pour leur assurer la tranquillité et le bien-être, et enfin que l'Empereur des Français était bon et n'avait pas cette visée remarquée chez les autres souverains d'Europe qui ne cherchèrent qu'à exploiter les autres étrangers. Sur ce, Nous sommes très contents de conclure avec l’Empereur des Français une alliance durable qui rendra le pays grand et riche, au profit des habitants.
C’est pourquoi nous avons chargé le religieux Ridréavi-Rémadâktâ Miche Posdansera d’écrire une lettre témoignant Notre amitié et offrant quatre défenses d’éléphants, deux cornes de rhinocéros, cinquante piculs de gomme-gutte, cinq piculs de sucre, quatre piculs de poivre à sa Majesté, l’Empereur des Français. Cette lettre est restée depuis plusieurs années sans réponse. Maintenant nous lui offrons quatre sampots et quatre défenses d’éléphants, présents minimes ayant uniquement pour but de faire connaître Notre coeur. En ce moment, en effet, M. de Montigny qui doit aller traiter avec l’Annam, puis pousser ses voyages jusqu’en Chine, ne peut pas rentrer en France. C’est pourquoi Nous n’envoyons que ces modiques présents, juste pour montrer Notre amitié et Nous portons en même temps à la haute connaissance de S.M. l’Empereur de Français ce qui suit:
Le Cambodge était auparavant un vaste pays comprenant de grandes provinces. Dans la suite, les Annamites, hommes de mauvaise foi, qui s’étaient fait les alliés du Cambodge, cherchaient à lui arracher tantôt un tantôt deux sroks. Lors de la révolte des Kay-Son (Tay-Son), l’Empereur Gia-Long s’enfuit de son Royaume et alla demander du secours au Royaume Krong-Tép (Siam) ; il y rencontra Notre Auguste Père, alors Roi du Cambodge dont il a obtenu l’alliance.
Après s’être enfuit du Royaume Krong-Tép et fixé au Srok de Preah Tropeang (Travinh) où il organisa son armé pour combattre contre les Kay-Son, Notre Auguste père lui a envoyé des secours en hommes jusqu’à ce qu’il eut vaincu les kay-Son et fût monté sur le trône de l’Annam. Alors faisant valoir que le srok de Preah Tropeang était un bienfaiteur pour lui, il demanda à Notre Auguste Père d’exempter ce srok de tout tribut (envers le Cambodge) et de pas faire travailler les habitants de ce srok. Notre Auguste Père, considérant qu’il s’agissait là d’un acte de compassion à l’égard d’un allié, acquiesça à cette demande et ne soumit plus les habitants à aucune corvée. Longtemps après, Gia-Long fit de ce srok une colonie annamite jusqu’au règne de Notre frère aîné qui se tourna vers l’Empereur Gia-Long pour lui demander l’appui. De Notre côté, Nous sommes allés au Royaume Krong-Tép. Le fils de Gia-Long nommé Minh-Mang monta sur le trône et fit creuser le canal qui traversa le Royaume du Cambodge depuis Péam jusqu’à Chaudoc, pour y établir des mandarins et sujets annamites. A sa mort, Notre Auguste père ne laissa qu’une fille (du premier lit).
L’Empereur Minh-Mang, comme mesure d’oppression, ordonna d'emmener en captivité à Saikong les filles de Notre Auguste Frère, Notre Auguste Mère, Notre propre Enfant, fit mettre à mort une fille de Notre Auguste Père pour la faire disparaître et ordonna aux grands mandarins et aux habitants du Cambodge d’aller habiter les uns dans les îles et les autres au Tonkin près de la Chine. Les Cambodgiens mis au courant de la mauvaise intention de l’Empereur annamite, se soulevèrent et massacrèrent beaucoup d’Annamites. Ils Nous demandèrent de quitter le Royaume Krong-Tép pour régner (au Cambodge). Le Roi Préah Bat Samdach Sang Khlay Chau You Hour ordonna au Chau Ponhéa Bodin Déchéa qui était un général d’armée, de lever plus de cinq mille soldats avec des canons, des fusils, des armes, des balles, de la poudre, des tissus, des provisions, de l’argent, de l’or, soit toute une grande fortune provenant du trésor royal pour venir Nous aider à combattre contre les Annamites. La guerre a duré à peu près dix-huit ans au Cambodge. L’Empereur d’Annam nous proposa l’alliance, acceptant de rapatrier Notre Auguste Mère, Notre Fils, les Filles de Notre Auguste Frère et tous les mandarins ainsi que tous les sujets Cambodgiens qui ont été exilés dans différentes îles et différents sroks. Il Nous reconnût Roi du Cambodge, Nous fit cadeau de deux sceaux annamites un grand et un petit, et promit de rendre au srok khmer tous les territoires cambodgiens dont les Annamites s’étaient emparés. Le général Chau Ponhéa Bodin Déchéa Nous dit qu’il convenait d’accepter la paix, puisque Nous pûmes reprendre Notre Auguste Mère, Notre Fils, Nos Neveux, Nos mandarins, Nos sujets et Nos territoires; c’est ce que Nous avons fait en 1209 de la petite ère, année du Bouc, 9ème du cycle décennal.
Dans la suite non seulement les territoires que l’Annam avait promit de rendre (au Cambodge) n’étaient pas rendus, mais encore Nous reçûmes la consigne de n’en recevoir aucun tribut de vassalité, et les Cambodgiens qui construisaient des bateaux, des navires pour aller commercer à l’étranger, n'étaient pas autorisés à le faire.
Cet état de chose qui existe au Cambodge doit faire réfléchir Sa Majesté l’Empereur des Français sur l’établissement de la domination des Annamites en territoires cambodgiens. Le srok Donnai est devenu annamite par simple occupation paisible, il y a 200 ans. Les sroks que les Annamites se sont appropriés après sont : Saikong, Longho, Sadec, Smeythor, Chaudoc, Krâmuon-Sâr, Omom, Tuk-Khmau, srok Péam et les îles Trâl, Tralach. Dorénavant, si les annamites cédaient à l’Empereur des Français tous ces territoires et autres, Nous prierons Sa Majesté l’Empereur des Français de ne pas les accepter, parce que cette contrée était vraiment terre cambodgienne. La partie allant de la rive occidentale du fleuve Saikong jusqu’au Péam (Hatien) y compris les deux îles, doivent rester cambodgiennes comme auparavant. Quant à la région se trouvant sur la rive orientale du fleuve Saikong, que les annamites ont occupée depuis longtemps, Nous ne la réclamons pas.
Si Nous portons ces choses à la haute connaissance de Sa Majesté l’Empereur des Français, c’est pour que Nous et Nos sujets ne soyons pas frustrés de nos droits et bien et pour que Nous ne souffrions plus. Ainsi Sa Majesté L’Empereur des Français acquerra la réelle réputation de l’Homme généreux qui travaille pour les intérêts des autres pays, et les Cambodgien et les Français s’aimeront et entretiendrons de bonnes relations.
Fait en Notre Palais d’Oudong et apposé Notre sceau, mardi mois Kâdoeuk, le 13ème jour de la lune décroissante, en l’an 1215 de la petite ère, année du Dragon, 8ème du cycle décennal.
Envoyé à Sing-Ka-Pô (Singapore)
Sa Majesté a signé: “ANG DUONG ”

L’objectif principal de cette lettre est son dispositif final relatif à la question cochinchinoise ressortant clairement du texte.

Après les formules courtoises d’usage entre Souverains, Ang-Duong exprime sa confiance dans l’empereur des Français qui “était bon et n’avait pas cette visée remarquée chez les autres souverains d’Europe qui ne cherchèrent qu’à exploiter les autres étrangers”.

Mort prématurément, S.M. Ang-Duong “conserva ses illusions, sa conviction ou sa confiance en l’Empereur des Français” n’eut pas le temps d’être déçue.

Le deuxième paragraphe de cette seconde lettre rappelle le contenu de la première et cite les présents offerts, sa conclusion: “et Nous portons en même temps à la haute connaissance de S.M. Empereur des Français ce qui suit “ annonce la partie essentielle de la lettre.

Les deux premiers paragraphes en constituent donc la partie introductive, alors que les six autres en constituent le fond.

Ces six paragraphes peuvent se résumer comme suit:

1º/ - Le vaste pays khmer est amputé continuellement par les Annamites tantôt d’un tantôt de deux srok.

2º/ - Le roi khmer a aidé le roi Gia-Long à réprimer la révolte des Tay-Son, ce dernier an a profité malhonnêtement pour s’emparer des deux srok “Preah Tropéang et Péam”.

3º/ -Les Cambodgiens se sont soulevés contre les oppresseurs annamites et après une guerre de 18 ans, le roi du Cambodge peut exiger du roi d’Annam:

a) la libération de toute la famille royale et des mandarins khmers détenus par les Annamites;

b) l’acceptation de la paix mettant fin à cette guerre de 18 ans;

c) la promesse du roi d’Annam “de rendre au srok khmer tous les territoires cambodgiens dont les Annamites s’étaient emparés”.

4º/ - Malgré la promesse faite, les Annamites n’ont pas rendu ces territoires et de plus, ils empêchent ceux-ci de verser le tribut de vassalité au Roi khmer.

Il ressort de ces paragraphes, qu’au moment de l’arrivée des Français, la victoire du Cambodge sur les Annamites était certaine. Après 18 ans de guerre, les Annamites se sont inclinés devant le roi khmer pour lui demander la paix en promettant de rendre au Cambodge toutes les provinces de Cochinchine dont ils se sont emparés.

5º/ L’avant dernier paragraphe constitue le dispositif final de la lettre.

Après avoir ainsi exposé à l’empereur Napoléon III ses luttes avec l’Annam et l’arrivée à résipiscence de ce dernier, le Roi du Cambodge notifie à la France les droits territoriaux du Royaume khmer sur les provinces ci-après:
- Saïkong
- Longho (ou Vinh-Long)
- Sadec ( ancienne province d’Ang-Giang)
- Smeythor (ou Mythor)
- Chaudoc (ou en khmer Meat Chrouk)
- Kramuon-Sar (Rach Gia)
- Omon (arrondissement de Cauthoen)
- Tuk-Khmau (Camau)
- srok Péam (Hatien)
- île Trâl (Koh Trâl = Phu-Quôc)
- île Tralach (Koh Talach = Poulo-Condor)

Il précise bien “la partie allant de la rive occidentale du fleuve Saïkong jusqu’au Péam (Hatien) y compris les deux îles doivent rester cambodgiennes comme auparavant”.

Il reconnaît enfin que la rive orientale: du fleuve Saïkong et le srok Donnai, sont devenus annamites par simple “occupation paisible”. Il ne revendique donc plus la souveraineté du Cambodge sur ces terres tacitement abandonnées aux Viêtnamiens.

Il réclame par contre les autres provinces où les Khmers qui les habitent luttèrent constamment contre la pénétration des Annamites.

6º/ - Dans le dernier paragraphe, le roi conclut qu’il fait connaître tout ce qui précède à l’Empereur des Français afin que les Cambodgiens ne "soient pas frustrés dans leurs droits" et que la France conserve sa réputation de nation bienveillante et généreuse travaillant pour les intérêts des autres peuples.

En dépit de la mise en garde d’Ang Duong, en dépit même de ses propres engagements, la France s’empara de toute la Cochinchine et après les Viêtnamiens, viola la souveraineté du Cambodge sur ce territoire.

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