II.
LES KHMER KROM SOUS LA COLONISATION DES VIÊTNAMIENS (de 1849 à 1862)
La date de 1849, donnée par le Vénérable Thach Pang comme point de départ du régime colonial annamite au Bas-Cambodge correspond à ce que rapporte “l’Histoire du Cambodge d’Adhémard Leclère (p. 434 et suivantes). Les Viêtnamiens n’arrivèrent pas avant 1847 à imposer leur autorité aux Khmer krom.
Après cette date, les Viêtnamiens et les Thailandais ayant signé le traité de 1846 conduisant à la cessation des hostilités entre le Siam et l’Annam sur le sol khmer, les autorités viêtnamiennes commencèrent à appliquer des mesures d’assimilation et de discrimination à l’encontre des Khmer Krom.
La date de 1862 est celle du traité franco-annamite par lequel l’empereur Tu-Duc cédait à la France certaines provinces khmères de Cochinchine.
Dès 1849 donc, les viêtnamiens essayèrent d’imposer leur régime dans le Kampuchea krom. A. Leclère (H.C. p. 435) rapporte qu’“il n’y avait pas de justice pour les anciens maîtres du sol et toute usurpation faite par un Annamite était ratifié par le tribunal”.
Les vengeances furent terribles de la part des Khmers.
Les autorités annamites, en particulier les juges, usèrent de représailles.
Si le coupable n’était pas découvert, écrit Leclère, et il ne l’était pas presque jamais, le village entier était rendu responsable. “On arrêtait les chefs, les notables et les simples habitants et, alors, c’était l’amende rigoureuse, la mort sous le bâton, le rotin”.
Tout cela rendait la vie presque impossible aux Cambodgiens. “Certains durent abandonner leurs terres aux Yuons”.
Les Annamites transformèrent tous les noms khmers des villages ou districts où ils arrivaient. Ils “déformaient si bien les noms cambodgiens qu’il est souvent difficile de les retrouver aujourd'hui” note Leclère.
L. Malleret relate les mêmes faits dans l’“Archéologie du Delta du Mékong” étudiée plus loin.
“L’Histoire du Cambodge” (A. Leclère, p. 435 et 436) relève “la plupart des noms khmers de villages, districts ou provinces déformés par les Annamites soit par traduction, soit par déformation phonétique.”
“D’autres fois, ils (les Annamites) traduisaient en annamite le nom cambodgien quand il y avait une signification connue et alors, pour les anciens possesseurs du sol, le nom était également perdu.”
Ainsi:
La province de Prey-Kor (Forêt des Kor), depuis l’occupation était devenue la province de Gia-Dinh; celle de Kâmpéâp-srêkatrey (... écaille de poisson) devenait Biên-hoa;
celle de Bariyéa[1] devenait Baria;
Phsar-Dêk (marché du fer) devenait Sadec, après avoir été Angiang;
Po-loeuh[2] (le ficus élevé) devenait Bac-liêu;
Tukh Khmau[3] (eau noire) devenait Ca-mau (Ca-mao);
Bay-chhau[4] (riz séché au soleil) devenait Bay-xâu;
Péam-Méanchay (confluent de victoire) devenait My-thang;
Srok-Treang (pays du latanier) devenait Soctrang;
Péam-mé-Sên (houche du fleuve du Sacrifice)[5] devenait Donnaygnai;
Krâmuon-Sâ (demoiselle blanche)[6] devenait Rach-Gia;
Prèk-Rosey (rivière de bambous) devenait Can-thoeu;
Au-mor (ruisseau du souterrain) devenait O-môn, dans l’arrondissement de Canthoeu;
Kômpoul-méas (sommet d’or) devait Binh-Thuy;
Meât-chrouk (bouche du porc) devait Chaudoc et son phnom swâm devenait le Nui Sam des Annamites;
Barach (excommuniable) devenait Long-Xuyên et sa montagne ou Phnom Bathi prenait le nom de Nui Ba-Thi;
La province Muong-kham devenait province d’Hatien;
Péam (embouchure, bouche) qu’on nommait aussi Muong-kham devenait Hatien;
Preah-trapeang (mare sacrée) devenait Trà-vinh;
Kompong-Rosey (rivage des bambous) devenait Bêntre;
Long-Hor (devin noyé) devenait Vinh-Long;
Mé-Sâ (dame blanche) devenait My-tho;
Kôh Kong ( île Kong), devenait Go-công[7];
Kompong-kô (rivage des bœufs) devenait Truong-an, actuellement Tân-an;
Ban-lèch devenait Bên-lun;
Roung-dâmrey (écurie des éléphants) devenait Tay-ninh;
La montagne de Tây-ninh portait alors le nom de Phnôm Choeung-mê-Dêng (la montagne de la fée Dêng);
Koh-trâl ( île de la navette)[8] devenait Phu-quôc;
Phnom Youk devient Nui Ca-Vuse;
Péam-Choeung Kanchoeu (embouchure de la rivière du pied de l’arbre Kanchoeu) devient Cân-gio (Cap Saint-Jacques);
- Chhoeutéal-muoy-deum (un arbre cheuteal) devient Thudaumot;
Banteay-koh-krabey (la forteresse du terreau des bambous) devenait Hong-ngyuen;
Kompong-koh-Krabey (rivage des bœufs et des buffles) devenait Bên-nghè (Saïgon)[9];
Phsar-thom (grand bazar) devient Cholon d’un mot chinois qui a le même sens;
Kânghva-dak-péang (harpon plaçant la jarre) devient Biênhoa;
Daung-nay (coco rejeté) devient Tonh-thanh et Dông-nai;
Kan-kau aussi appelé Bathac (Basak) sont maintenant des arrondissements de la rive droite du Mékong occidental.”
Quant aux provinces, il en avait 6:
- La province de Gia-Dinh, chef-lieu Saïgon;
- La province de Dinh-Thuong, chef-lieu Mytho;
- La province de Bien-Ho, chef-lieu Bien-Hoa;
- La province de Long-Ho, chef-lieu de Vinh-Long;
- La province de Ang-Giang, chef-lieu Chaudoc;
- La province de Hatien, chef-lieu Hatien;
D’après H. Aurillac, la “conquête française n’a rien changé à cette division.”
[1] La Barira des Espagnols et des Portugais, où débarqua Beloso en 1597 quand il revint de Manille, peu de temps avant d'assassiner Râma dit Choeung-prey.
[2] "Pol Leav" d'après le Vénérable Thach Pang. Malleret a conservé "Pô Loeuh".
[3] Chrouy khmer ou pointe de Camboia.
[4] Bay chhau = riz mal cuit.
[5] La toponymie de ce nom est indiquée plus loin.
[6] Krâmuon Sâr = cire blanche.
[7] Cette toponymie est confirmée par les manuscrits du Vénérable Thach Pang.
[8] Malleret dit "Koh Trâl ou Koh Sral"
[9] D'après le Vénérable Thach Pang, c'est le Koh Krabey que le roi d'Annam demandait à titre de prêt pendant 5 ans pour l'entraînement de ses soldats.
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