jeudi 18 octobre 2007

Titre

HU NIM


KAMPUCHEA KROM

BAS DU CAMBODGE
OU EX-COCHINCHINE



Situation juridique

DROIT INTERNATIONAL PUBLIC


Mémoire préparé
pour le diplôme d'études supérieures de droit public


Phnom-Penh

1961

FACULTÉ DE DROIT ET DE SCIENCES ECONOMIQUES DE PHNOM-PENH
mise en page par

Sommaire

SOMMAIRE

I. PLAN

II. INTRODUCTION

III. CHAPITRE I.

Le fondement historique de la souveraineté du Cambodge sur la Cochinchine

Section I.
Formation du Royaume du Cambodge.

Section II.
L’intégrité territoriale du Cambodge s’étend à la Cochinchine.

IV.- CHAPITRE II.
Le fondement juridique de la souveraineté permanente du Cambodge sur la Cochinchine

Section I.
Occupation irrégiluière et par la force de la Cochinchine, terre khmère, par les Viêtnamiens puis par la France.

Section II.
Le Cambodge n’a jamais renoncé à ses droits sur le Kampuchea Krom, ses protestations contre l’occupation irrégulière de ce territoire khmer furent constantes.

V.- CHAPITRE III.
Les témoignages de l’appartenance
de la Cochinchine au Royaume du Cambodge

Section I.
Témoignages recueillis par les premiers voyageurs et anciennes cartes géographiques de l’Asie du Sud-Est.

I.
Les anciennes cartes et l’origine du terme Cochinchine.

II.
Témoignages recueillis par les Espagnols et Portugais.

Section II.
Le passé et la vie des Khmers du Kampuchea Krom

I.
Origine, organisation administrative (du 1er siècle à 1849)

II.
Sous la colonisation des Viêtnamiens (de 1849 à 1862)

III.
Sous le régime colonial français (de 1862 à 1945)

IV.
A l’époque actuelle

V.
L’archéologie du Delta du Mékong comfirme l’appartenance au Cambodge de la Cochinchine


VI.- CONCLUSION.

VII.- ANNEXES.

Extraits de “l’Archéologie du Delta du Mékong de Louis Malleret”

Plan

SITUATION JURIDIQUE
DU KAMPUCHÉA KROM

(Bas-Cambodge ou ex-cochinchine)

P L A N

INTRODUCTION

@. De la souveraineté du Cambodge sur ses provinces du Kampuchéa Krom (ex-cochinchine).

@. Cette souveraineté, reposant sur des fondements historique et juridique, est confirmée par des témoignages.

@. A ces fondements expliquant la situation juridique du Kampuchéa Krom, correspondent les 3 chapitres de ce mémoire:

CHAPITRE 1:
Le fondement historique de la souveraineté du Cambodge sur la Cochinchine;

CHAPITRE 2:
Le fondement juridique de cette souveraineté;

CHAPITRE 3:
Les témoignages de l'appartenance de la Cochinchine au Royaume du Cambodge.


*

* *



CHAPITRE 1

LE FONDEMENT HISTORIQUE
DE LA SOUVERAINETÉ DU CAMBODGE
SUR LA COCHINCHINE


L'Étude sommaire de l'histoire du Cambodge et par voie de conséquence, du Kampuchéa Krom, révélera l'intégrité territoriale réelle du Cambodge. D'où:

SECTION 1.-

Formation du Royaume du Cambodge
Un rappel historique est indispensable.

I- De la préhistoire à la période d'unification
- Époque néolithique.
- Groupe Môn Khmer.
- Formation géographique du Cambodge.
- La civilisation proto-khmère avec le rayonnement de la cité maritime d'Oc Eo.
- Le Fou-nan et le Tchen-la.
- Le groupe môn-khmer du Fou-nan et le groupe "Kambuja"
du Tchen-La.

II- La période d'unification entre le Tchen-la et le Fou-nan.
1/- Bhavavarman a réalisé l'unification entre le Tchen-la et le Fou-nan vers l'an 550.
2/- L'unité complète et totale du Royaume du Cambodge fut réalisée par le grand monarque khmer, Jayavarman II, vers l'an 802.

III. - L’époque angkorienne consolide les frontières très
étendues du Royaume khmer durant 6 siècles (du IXè au XIVè siècle).
- Avec Jayavarman II, l’histoire du Cambodge entre
également dans la glorieuse période d’Angkor.
- Sous le règne de Suryavarnam II le Cambodge comptait,
d’après l’ "histoire du Cambodge de Louis Cheminais, au
moins dix millions d’habitants."

IV. - La période post-angkorienne.
De la fin du XIVe siècle à la moitié du XIX siècle, le Cambodge garde son intégrité territoriale, y compris le Bas-Cambodge, intégrité acquise à l’époque de l’unification du Tchen-la et du Fou-Nan sous le règne de Jayavarman II, vers l’an 802.

SECTION II.-
L’intégrité territoriale du Cambodge dont fait partie la Cochinchine.

1/ - Le royaume khmer est formé depuis le 1er siècle et son
unification est réalisée vers le VIIIe siècle
2/ - Son expansion pendant les six siècles suivants.
3/ - Au XVe siècle, fin de l’Empire khmer, il perd le
Champa, le Bas-Laos et la Thaïlande, mais conserve la
Bas-Cambodge.
4/ - Le Kampuchéa-Krom est khmer.
5/ - Entrée des Annamites au XVIIe siècle.
6/ - Le Cambodge actuel (Haut-Cambodge) et la
Cochinchine (Bas-Cambodge) constituent, dans son
intégrité, le territoire khmer.


CHAPITRE II

FONDEMENT JURIDIQUE
DE LA SOUVERAINETÉ PERMANENTE DU CAMBODGE SUR LA COCHINCHINE


Considération générale :
- L'occupation de la Cochinchine par les Annamites n’est
pas celle d’un territoire sans maître.
- Le Cambodge n’a jamais renoncé à ses droits sur la
Cochinchine.
- Les frontières tracées par la France étaient arbitraires et
unilatérales.
- Tout acte de cession, tout traité ou toute disposition légale
ou conventionnelle impliquant cette cession de terres
khmères de Cochinchine est nul de plein droit.

D’où les deux sections:

SECTION I.-
Occupation irrégulière et par la force de la Cochinchine, terre khmère, par les Annamites et par la France.

I..- Considérations générales

- Il ne s'agit pas d’une occupation de terre sans maître, il
s’agit d’une invasion.
- L’invasion d’un territoire par la force est interdite par le
droit international.
- L’arrêt du 9-4-1941 de la C.I.J., dans l’affaire du détroit
de Corfou, condamne toute manifestation de politique de
force.
- Titre VI de la Constitution française du 3 septembre 1791.
- Préambule du Pacte de la Société des nations.
- Pratique suivie par la Société des nations (paragraphes 222,
385 et 387 du Répertoire des questions de droit
international général, posées devant la S.D.N., 1920-1940,
condamnant nettement l’invasion d’un territoire par la
force).
- Article 2, paragraphe 5 de la carte des Nations-Unies.

Donc:

1/ - Le droit international condamne expressément l'invasion
d’un territoire par la force.
2/ - L’occupation de la Cochinchine n’est pas une
occupation paisible d’un territoire sans maître, c’est une
agression et une violation de l’intégrité territoriale du
Cambodge; elle donc condamnable.

II. - Faits historiques jalonnant ces occupations irrégulières et l’agression des Annamites.

A) - Occupation irrégulière de la Cochinchine, terre cambodgienne, par les Annamites

a) Avant l’avènement de S.M. Ang-Duong
1/ - Les premières années de l'agression annamite.
2/ - Les 3000 Chinois renvoyés par le roi d’Annam.
3/ - Rivalités entre Siamois et Annamites pour le partage
du Cambodge.
4/ - La révolte des Chinois de Mytho.
5/ - Occupation des provinces méridionales de Saïgon,
Baria et Bienhoa en 1699.
6/ - Les actes de piraterie du Chinois Mac-Cuu à Hatien
et à Phu-Quôc en 1715.
7/ - Les Annamites s’accrochent à Mytho, Vinh-Long et
Bassac.
8/ - Le roi Thommo Reachea tente de reprendre Hatien.
9/ - Le roi d’Annam nomme un vice-roi à Prey Nokor
(1754).
10/ - En 1756, les Khmers anéantissent plus de 5000
Moïs à Mytho.
11/ - Ang-Non reprend Vinh-Long et Metho en 1776.
12/ - 20000 Cambodgiens aident Gia-Long à réprimer
les Tây-Son.
L’Okhna Bên et le Cambodge.
13/ - Les Annamites et les Siamois multiplient les
intrigues pour démembrer le Cambodge, sous le
règne de Ang-Chan.
14/ - Plusieurs milliers de Cambodgiens périssent au
moment du percement du canal de Vinh-Té.
15/ - Les Annamites préparent l’annexion de tout le
Cambodge sous le règne de Ang-Mey (1834-
1841)
16/ - Violents soulèvements des Cambodgiens contre les
Annamites.

b) L’avènement de S.M . Ang-Duong (1841-1859)
- La sanglante bataille de 1841.
- Les Annamites demandent la conclusion d’un traité de
paix avec Ang-Duong.
- Le traité annamo-siamois de 1846.
- Les tentatives de reprise des terres khmères du Sud-
Viêtnam engagées par Ang-Duong.
- La mort d’Ang-Duong en 1860 arrête le combat.

B)- Occupation irrégulière du Bas-Cambodge par la
France

a) Remarques préliminaires: observations sur quelques faits
préhistoriques.
b) Principaux événements marquant l’annexion de la
Cochinchine par la France:
- les notifications de S.M. Ang-Duong ( lettres de 1853 et de
1856);
- la prise de Saigon en 1859 ;
- les résistances organisées par An-Duong.
-
c) L'instauration du protectorat français au Cambodge.
Les différentes étapes historiques:
- 1860, mort de S.M Ang-Duong, avènement de S.M.
Norodom;
- 1862, traité franco-annamite, cession des trois provinces
orientales du Kampuchéa Krom à la France;
- 1863, le premier traité de protectorat;
- 1867, l’annexion par la France des provinces occidentales
de Cochinchine;
- 1867, traité franco-siamois, laissant au Siam les deux
provinces de Battambang et d’Angkor;
- 1884, les second traité du protectorat complété par celui de
1897 “une annexion déguisée”.

SECTION II.
Le Cambodge n’a jamais renoncé à ses droits sur le Kampuchéa-Krom, les protestations étant constantes.
Depuis l’occupation française, le combat cède la place aux protestations pour reprendre la Cochinchine.

I.- Notification de S.M. Ang-Duong à la France
Analyse de la terre, du...1856, de S.M. Ang-Duong.

II.- Les démarches de S.M. Norodom auprès des autorités
françaises à Saigon pour récupérer Vinh-Long, Chaudoc
et Hatien, et les protestations du prince Yukhantor.

III.- Les protestations et les réserves faites pendant le règne
de S.M. Norodom Sihanouk et à l’occasion de
l’Indépendance nationale:
1/ - Déclaration du 25 juin 1945 de S.M. Norodom
Sihanouk;
2/ - Lettre du 20 janvier 1948 de S.M. Norodom Sihanouk;
3/ - Lettre de protestation de S.M. Sihanouk, du 18 juin
1948, contre l’accord de la Baie d’Along;
4/ - Réserves dans le traité franco-khmer du 8 novembre
1949;
5/ - Protestation devant le Haut-Conseil de l’Union
française;
6/ - Réserve à la Conférence de Genève de 1954.
- Mémoire du Cambodge sur ses terres du Sud-Viêtnam,
déposé à l’ONU en 1958.
- Déclaration de S.A.R. Samdech Preah Norodom
Sihanouk, chef de l’État du Cambodge, le 22 septembre
1961 à la XVIe session de l’Assemblée générale de
l’ONU.

CHAPITRE III

LES TÉMOIGNAGES

SECTION I.- Les récites des premiers voyageurs européens et les cartographies

I.- Les anciennes cartes géographiques de l'Asie du Sud-Est
et les origines de la “Cochinchine”.

II.- Les témoignages des Portugais et des Espagnols.

SECTION II.- Le passé et la vie des Khmers du Kampuchéa Krom

I.- Les Khmers Krom sous la domination annamite.
Les six anciennes provinces.

II.- Les Khmers Krom sous le régime colonial français.
A) La population khmère de Cochinchine à l’arrivée des
Français.
- Le recensement de 1888.
- Les communes cochinchinoises habitées uniquement
par les Cambodgiens.

B) - La minorité cambodgienne d’après l’étude de M.
Malleret

C) - Régime applicable aux Khmers Krom sous l’occupation
française.

III. - Les Khmers Krom à l'époque actuelle.
- Exode des Khmers Krom de Cochinchine.
- Le problèmes des Khmers Krom devant l’ONU.

IV. - Les vestiges du passé.
1/ - D’après G. COEDES
2/ - D’après BARRAULT.
3/ - D’après de LAJONQUIERE.
4/ - D’après LOUIS MALLERET (L’ARCHÉOLOGIE DU DELTA DU MÉKONG)

CONCLUSION FINALE

Le Bas-Cambodge (Kampuchéa Krom ou ex-Cochinchine et Sud-Viêtnam actuel) relève juridiquement de la souveraineté permanente du Royaume khmer.

Introduction

INTRODUCTION

Un examen attentif de la situation du Bas-Cambodge (Kampuchea Krom ou Cochinchine, la plus grande partie du Sud-Viêtnam actuel) et du Royaume du Cambodge, vue sous ses aspects:
§ historique,
§ juridique,
§ testimonial,
fait nettement ressortir que sur le plan juridique, le Royaume du Cambodge conserve encore sa souveraineté sur le Kampuchea Krom.


Sur le plan historique, il n'est pas douteux que la Cochinchine appartient au Royaume du Cambodge.

Des annales, des manuels, des chroniques des historiens, des archéologues et auteurs les plus anciens le confirment.

Sur le plan juridique, on note avec Moura (le Royaume du Cambodge - page 452), “qu’aucune convention formelle, aucun traité régulier n’intervinrent pour régler et légitimer la prise de possession par les Annamites de tout cet immense et riche pays... Il n'y eut pas de frontière tracée... ”.

Les rois khmers et le peuple du Cambodge luttèrent continuellement contre les envahisseurs annamites pour libérer le Bas-Cambodge. Cette lutte, qui commença en 1623, s’est poursuivie jusqu’à la mort de S.M. Ang-Duong en 1860, c’est-à-dire jusqu’à l’arrivée des Français.

Les rois khmers et le peuple du Cambodge n’ont jamais renoncé à leurs droits sur le Bas-Cambodge. Ils protestèrent auprès de la France quand l'empereur d'Annam céda à cette dernière les terres du Bas-Cambodge. Les notifications de S.M. Ang-Duong, dans sa lettre de 1856 à Napoléon III, sont nettes sur ce point et le traité franco-annamite de 1862 est nul de plein droit.

Les rois khmers, depuis S.M. Norodom qui, en 1860, reprit les notifications faites par son auguste père, à S. M. Sihanouk, protestèrent contre l’occupation française sur le Kampuchea Krom durant tout le temps du protectorat.

Ces protestations ne cessèrent jamais.

Le roi et le gouvernement royal du Cambodge réclamèrent énergiquement tant auprès du gouvernement français qu’au sein des conférences internationales, quand la France, par l’accord de la baie d’Along de 1948, céda unilatéralement le Bas-Cambodge à l’empereur Bao-Dai, en reconnaissant des “Trois Ky” (Tonkin, Annam, Cochinchine).

Le Bas-Cambodge (appelé par les Français Cochinchine) ou, selon notre propre expression, le Kampuchéa Krom (Kampuchéa = Cambodge et Krom veut dire Bas), reste donc dans sa totalité terre cambodgienne.

Il n'y a jamais eu d’occupation, par les Annamites et ensuite par la France, de terre sans maître. Le Kampuchea Krom appartenait en fait et appartient encore juridiquement au Cambodge depuis l’époque de Fou-Nam.

La conquête par la force, ou l’invasion d’un territoire est toujours condamnée non seulement par les droits des gens mais encore par les règles internationales actuelles.

La Société des Nations, à la quelle succéda l’organisation des Nations Unies, réaffirma ce principe et L’imposa à tous ses membres.

On trouve rapportée dans le Répertoire des questions de droit international général (1920- 1940, Réf. 341.S333, Bibliothèque des Nations Unies à New-York) les règles immuables suivantes ( paragraphes 222,385 et 387 du Répertoire):


§ L’invasion d’un territoire d’un État voisin est une atteinte à sa souveraineté, interdite par le droit international positif,


§ L’occupation militaire d’un territoire n'entraîne jamais le déplacement de la souveraineté. elle est une situation de fait n’affectant pas la souveraineté.


§ Aucune acquisition territoriale ne peut pas être obtenue par l’emploi de la force.

Il est bien évident que les Annamites utilisèrent la force des Armes pour envahir le Kampuchea Krom. Les Khmers, de leur côté, ne laissèrent jamais les Annamites s’installer paisiblement dans les provinces ainsi envahies. Moura écrit: “Ce fut vers 1675 que commencèrent ces guerres continuelles entre les deux peuples et l’annexion progressive de tout le delta du fleuve au royaume annamite”.

Il ne s’agissait donc pas d’un territoire sans maître qu’on pouvait occuper sans coup férir. Le Bas-Cambodge est habité par des Khmers et ceux-ci défendirent leurs terres.

Silvestre, dans un livre consacré à l’empire d’Annam, écrit même que le “roi khmer fut installé à Prey-Nokor, c’est-à-dire à Saigon, vers l’an 289 avant J .C. ”.

Ouvrons ici tout de suite une parenthèse. À l’origine, “Prey-Nokor” s’appelait plutôt “Prey-Kor” (Forêt des kapokiers) que les Annamites ont traduit par “Cai-Gong” et les Français l’on transformé “Saïgon”.

Cependant comme dit Moura, il n’y eut pas de frontière tracée.

Pour qu’un tracé de frontières soit valable il faut l’accord des États possédant en commun ces frontières.

Depuis la société des Nations, le principe de "consentement" de chaque État intéressé est toujours exigé pour les délimitations de frontières.

Ce principe s'inspire du droit des gens ou du droit interne définissant “le mur mitoyen”.

On trouve ainsi dans le Répertoire des questions de droit international général les principes suivants (paragraphes 250 et 354):


§ Les frontières d’un État souverain ne peuvent pas être fixées sans son contentement.


§ Les frontières d’un État ne peuvent être fixées qu'avec son consentement.

De toutes ces pratiques internationales, se dégage un autre principe plus clair qui défend les droits d’un État sur une partie de son territoire auquel cet État n’a pas expressément renoncé.

La souveraineté de cet État sur la portion de ce territoire reste entière quels que soient les occupants. C’est dans ce sens que le Cambodge qui, par la voix de ses rois et de ses gouvernements, de S. M. Ang-Duong à S. M. Norodom Sihanouk, n’a pas renoncé à ses droits légitimes sur ses provinces du Kampuchéa Krom, possède encore, juridiquement, sa pleine souveraineté sur cette partie de son territoire.

Le paragraphe 391 du Répertoire des questions de droit international général posé devant la Société des Nations confirme nettement cette position juridique du Cambodge : "La souveraineté d’un territoire n’est pas définitivement transférée tant que l'État qui possède cette souveraineté n’a pas formellement renoncé à ses droits”.

L’occupation française de la Cochinchine ne modifie pas cette position juridique du Cambodge sur ses provinces du Sud.

Un État qui a simplement cédé son droit d’administrer la justice ou de maintenir l’ordre dans une de ses provinces ne perd pas sa souveraineté sur cette partie de son territoire, c’est ce qui est dit dans le paragraphe 282 du même Répertoire, dont voici le texte:

Un État qui cède à un autre le droit d'administrer la justice et de maintenir l’ordre dans une partie de son territoire ainsi que la droit de la protéger, ne perd pas sa souveraineté sur cette partie de son territoire, tant qu’il garde le droit de la transférer”.

Voilà sur le plan juridique .

Sur le troisième plan, la souveraineté du Cambodge est confirmée par de nombreux témoignages, par des vestiges du passé, des monuments oeuvres des habitants Khmers Krom, des monastères, des villages khmers qui existent actuellement dans tout le Bas-Cambodge.

Ces témoignages sont complétés par les récits des premiers voyageurs européens, Portugais et Espagnol en particulier, qui ont touché le sol khmer avant l’arrivée des Français au Bas Cambodge.

La cartographie occidentale, pour sa part. confirme aussi nettement l'appartenance de la “Cochinchine dite française” au Royaume du Cambodge.

L’étude de ces trois éléments (historique, juridique testimonial) de la situation du Bas-Cambodge fera donc ressortir clairement la souveraineté permanente du Cambod-ge sur le Kampuchéa Krom.

Quelles que soient les modifications apportées aux statuts de la “Cochinchine” (cession de la Cochinchine à la France par l’empereur d’Annam, ensuite cession, par la France, à l'empereur Bao-Dai, fondation de la République du Sud-Viêtnam), ces terres, que les Cambodgiens appellent toujours “Kampuchea-Krom, traduit littérale-ment par Bas-Cambodge” et que les Français nomment “Cochinchine française”, restent toujours cambodgiennes et tous les actes de cessions concernant les provin-ces cochinchinoises sont nuls de plein droit.

En plus, les réserves faites par le parlement français au moment des débats sur le changement de statut de la Cochinchine démontrent bien la justesse de la thèse de Son Altesse Royale le Prince Norodom Sihanouk: “Si la France a fait ces réserves dans l’acte de cession de la Cochinchine au Viêtnam, c’est parce qu’elle sait que la Cochinchine ne lui appartenait pas et si elle cède au Viêtnam et non rétrocède, c’est parce qu’elle sait que , juridiquement, cette terre n’appartenait et n’a jamais appartenu à l’Annam. Elle ne peut qu’appartenir au Kampuchéa”.



PLAN DU MÉMOIRE

CHAPITRE I
Fondement historique de la souveraineté du Cambodge sur la Cochinchine.

CHAPITRE II
Le fondement juridique de cette souveraineté.

CHAPITRE III
Les témoignages de l’appartenance de la Cochinchine au Royaume du Cambodge.

CHAPITRE I. Le fondement historique de la souveraineté du Cambodge ...

CHAPITRE I

LE FONDEMENT HISTORIQUE DE LA SOUVERAINETÉ DU CAMBODGE SUR LA COCHINCHINE

La souveraineté du Cambodge sur la Cochinchine est établie par l'histoire.

Celle-ci montre comment l'unité du royaume du Cambodge fut réalisée par la fusion de l'antique Tchen-La d'eau - le Fou-Nan des annales chinoises - avec le Tchen-La de terre - le Nord du Cambodge moderne.

A cette unité tentèrent de porter atteinte, dès le quinzième siècle, les invasions annamites sans cesse combattues par les Khmers.

Il fallut l’arrivée des Français pour voir, délimitée arbitrairement, une frontière entre le Cambodge et la Cochinchine dite française.

Le tracé de cette frontière, dont l’établissement violait délibérément l’intégrité du territoire cambodgien, fut décidé unilatéralement par les autorités françaises sans l’accord des principaux intéressés, savoir : les rois du Cambodge.

Ainsi, les deux sections du présent chapitre seront consacrés:

- Section I, à la formation du royaume du Cambodge.

-Section II, à l’intégrité territoriale du Cambodge qui s’étend à la Cochinchine.

Section I. Formation du Royaume du Cambodge

SECTION I.

FORMATION
DU ROYAUME DU CAMBODGE


L’étude de la formation du royaume du Cambodge permet de situer le cadre géographique où s’inscrit son intégrité territoriale. Elle permet de tirer cette conclusion: la Cochinchine est partie intégrante du royaume du Cambodge.

Dans ce rappel historique, seront passées en revue les grandes périodes suivantes:
I. - De la préhistoire à la période d’unification.
II. - La période d’unification du Tchen-La et du Fou-Nan.
III. - La période d’expansion ou période angkorienne.
IV. - La période post angkorienne.

Nous nous arrêterons à cette période. Car, à partir de là le Cambodge aura acquis son unité.

L’intégralité du territoire, sur lequel s’étendait alors sa souveraineté, ne sera l’objet d’atteintes de la part de l’Annam, que de longs siècles plus tard, comme nous l’avons dit plus haut.

I. De la préhistoire ...

I/. DE LA PRÉHISTOIRE A LA PÉRIODE D’UNIFICATION

Dans leur ensemble, historiens et archéologues admet-tent qu’à l’époque néolithique ou époque de la pierre polie, le groupe “Môn-khmer” occupait la péninsule indochinoise. La race khmère existerait donc depuis environ vingt siècles avant J.-C.

Ce groupe Môn-khmer s’établit dans le bassin des trois fleuves: Mékong, Ménam et Irawadi.

Dans son “Histoire du Cambodge”, M. Dauphin Meu-nier, vice-président de la Société française de géographie économique, après avoir puisé dans les textes de l'École française d’Extrême Orient, écrit à propos de la préhistoire khmère:

“Les Cambodgiens ou, comme ils se nomment eux-mêmes, les Khmers, forment un groupe austro-asiatique établi en Indochine depuis l’époque néolithique, quelques vingt siècles avant notre ère. Ce groupe a encore des représentants en Basse - Birmanie et dans la Chaîne anna-mitique; l’élément mongolique y est d’apport très récent.
“Des peuples indochinois, le peuple khmer est celui qui est le plus ancien occupant de son habitat actuel; ce ne sera que des millénaires plus tard, au XIIIè siècle de notre ère, qu'attirés par les deltas et par la mer et chassés de Chine par les Mongols, apparaîtront les Viêtnamiens, les Thaïs et les Birmans qui repousseront devant eux les Khmers et leurs proches parents, les Môns du Ménam et de l’Irawadi”.


Dans son ouvrage qui fait autorité “Angkor, hommes et pierres”, l’éminent archéologue Bernard Phillip Gros-lier, l’héritier des pionniers de l’archéologie khmère, an-cien secrétaire général de l'École française d’Extrême-Orient (1950-1954) donne des précisions sur les deux cadres, géographiques et historiques, de la formation du royaume du Cambodge. La structure physique du Cambodge.

La structure physique du Cambodge, géographiquement formé par deux parties, une partie montagneuses s’étendant au Nord des Dangrèk et une partie inondée s’étendant au sud de la Chaîne annamitique et de la Chaîne des Dangrèk, région que les archéologues appellent “le bas-pays”, le prédestine à être un carrefour de l’Asie.

On peut encore constater, du Phnom Koulèn, les traces des vagues de la mer qui rongèrent les pierres de toute la partie montagneuse des Dangrèk. Ainsi le “bas-pays” était, à l’origine, un véritable golfe au pied des Dangrèk. C’est le travail de la mer qui fit ressortir des terres le bloc de pierre géant, haut de vingt mètres environ, situé au sommet de Phnom Koulén et dont le faîte est taillé à l’image du “Bou-ddha en position de nirvarna” (la mort).

C’est le Mékong qui a bâti le Cambodge actuel et le Kampuchea-Krom (ex-Cochinchine) par ses alluvions fer-tiles.

Écoutons ce qu’en dit B.P. Groslier:
“Le Cambodge consiste essentiellement en un socle primaire cristallin recouvert d’un manteau gréseux. Contre ce môle vinrent déferler les vagues himâlayennes, mais à bout de force, qui ne purent le recouvrir et durent le contourner de part et d'autre, l’enferment dans un demi-cercle de montagnes: massif des Cardamones, chaîne des Dangrèk, rebord occidental du plateau moï. La mer envahit par la suite tout le bas-pays formant un vaste golfe au pied même des Dangrèk... le Mékong est un formidable bâtisseur. Précipitant un lent exhaussement du socle indochinois, il a peu à peu comblé ce golfe, façonnant de ses boues molles et de ses alluvions fertiles le Cambodge et la Cochinchine actuelle.”

Décrivant les impératifs géographiques du Cambodge, Groslier écrit:

“Sa structure physique comme son climat, tracent les grandes lignes de son destin...” et plus loin: “Le Cambodge est enfin un carrefour. Nœud des voies terrestres vers le Siam, au-delà, la Birmanie, puis l’Indes, vers la côte orientale et le continent chinois; débouché du Laos, il s’avance encore par son extrémité méridionale au cœur de la mère de Chine, qu’il contrôle un peu comme la botte italienne de la Méditerranée.
“Aucun autre pays indochinois n’offrait autant d’avan-tages et les Khmers utilisèrent ces dons naturels pour édi-fier la plus brillante des civilisations qui ont fleuri dans les mers du Sud.”


Cette description juste et frappante fait ressortir les im-pératifs géographiques du Cambodge d’autrefois avec ses frontières naturelles très étendues.

C’est donc dans le bassin des trois grands fleuves, le Mékong,, le Ménam et l’Irawadi, que le groupe Môn-khmer s’établit. Quant aux Annamites et aux Thaïs, ils se formaient dans les deltas du Fleuve rouge et du Fleuve bleu.

B.P. Groslier dit à ce propos:
“C’est ainsi que dans le sud de l’Indochine, parallèlement aux Annamites et aux Thaïs qui se formaient dans les deltas du Fleuve rouge et du Fleuve bleu, le groupe Môn-khmer se développent dans les bassins du Mékong, du Ménam et de l’Irawadi... ”

Dans son volume “Les Khmers, des origines d’Angkor au Cambodge d’aujourd’hui”, André Migot donne une description des frontières du Cambodge d’autrefois: “...il (le Cambodge) débordait largement celle (l’étendue) à laquelle il est réduit aujourd’hui, puisqu’il comprenait la presqu’île cochinchinoise, actuel Sud-Viêtnam, une partie du Viêtnam central et de la Thaïlande”.

A. Migot reproduit une intéressante carte historique et archéologique de l’Indochine au XIè, XIIè, et XIIIè siècle qui montre un vaste “Empire Khmers-Kambujadeca” occupant presque toute la péninsule indochinoise et une partie du territoire siamois.

A. Migot en donne la description suivante:
“Une carte physique de la péninsule indochinoise montre au premier coup d'œil que son ossature est constituée par une longue arrête montagneuse, la Chaîne anna-mitique. Née des puissants massifs du Haut Tonkin, du Yunnan et de la Birmanie, bastion avancé de l’Himalaya oriental et des plateaux tibétains, elle forme l’épine dorsale de la péninsule, dominant de son relief imposant, de ses sommets dont certains dépassent 2.000 m. d’altitude, la longue et pittoresque côte d’Annam, pour se perdre dans le plateau du Darlac et les promontoires rocheux du cap Varella, du cap Padaran et du cap Saint-Jacques, non loin de Saïgon, où elle s'abîme dans la mer de Chine.”

Dans la suite de son ouvrage, A. Migot expose la diffé-rence qui existe entre le pays viêtnamien et le pays khmer. Il dit que ce milieu géographique n’est pas un simple accident géographique. Cette Chaîne annamitique sépare en effet deux régions d’étendue très inégale, différant totalement par la population, leur langue, leur culture, leur religion. “Deux mondes, dit A. Migot, que l’on peut appeler schématiquement indien et chinois. Si le Viêtnam appartient au monde chinois, le pays khmer c’est le monde indien.”

Ce cadre géographique a donc rapport avec le cadre politique et social. Aux commencements de l’histoire, ce furent les impératifs géographiques qui formèrent un peuple, une civilisation. Toute cette partie sud de ce “bastion avancé” de l’Asie du Sud-Est, qu’est la presqu’île indochinoise, est peuplée par une race dite khmère, comme elle l’est au Nord par une race viêtnamienne d’origine chinoise et par une race thaïe de même origine. La Chaîne annamitique, le Ménam et la mer de Chine encadrent la position géographique de l'ancien Cambodge.

De leurs études, les archéologues ont déduit que c’est vers le premier siècle de l’ère chrétienne que le groupe môn-khmer a subi des influences indiennes. De ces apports indiens (période d’indianisation), qui s’ajoutaient aux apports mongoliques, est issue la civilisation indo-môn-khmère.

Vers l’an 50 an, l’avènement de la Kaundinya apporta un souffle nouveau à la civilisation indo-môn-khmère.

Nous arrivons ensuite à la période “proto-khmère” qui rayonna durant plusieurs siècles (du IIè au VIè).

La civilisation “proto-khmère” est marquée par prodigieux développement du Bas-Cambodge (Cochinchine) qui eut un port important à Oc-Eo, où touchaient des bateaux des navigateurs des plus lointaines côtes d’Asie et probab-lement d’Afrique.

De plus, Oc-Eo fut non seulement un port, mais aussi une véritable cité maritime qui a été mise à jour et étudiée par les archéologues de l'École française d’Extrême Orient. Elle représente incontestablement le témoignage le plus au-thentique de l’appartenance de la Cochinchine au royaume khmer.

Alors qu’Oc-Eo connaissait un tel rayonnement, “Prey-Nokor”, la “Forêt royale” des monarques khmers, occupait l’emplacement de la ville actuelle de Saigon. Prey-Nokor était la résidence des rois khmers depuis le IIIè siècle avant J.-C. Sylvestre, dans un livre consacré à l’empire d’Annam, avance, en s’étayant de l’autorité d’Aymônier et de Francis Garnier que:

“Le roi Aschay fut dépossédé par les Khmers vers 289 avant J.-C. et que les Chams, établis dans le pays de Kuk-Tholok, c’est à dire au Cambodge dispersés et vaincus, se retirèrent au sud.
“Plus tard, les conquérants descendirent eux-mêmes jusqu’aux limites de l’estuaire... Un roi khmer fut installé à Saigon et le nom que prit alors la capitale, Prey-Nokor” la Forêt royale “indique assez bien l’état des lieux.”


Quand à Oc-Eo, il conserva sa brillante civilisation durant quatre siècles, du IIè au VIè. Dauphin Meunier reprenant Louis Malleret, écrit à ce sujet que “le principal port du royaume était à Oc-Eo, au sud du Phnom Bathé en Cochinchine, sur une station néolithique déjà connue des navigateurs indiens."

Ce port recevait non seulement des jonques venues de Chine, de Malaisie et de l’Inde mais aussi de Holandia où de gros vaisseaux de charge affrétés par les marchands des provinces de l’empire romain limitrophe de la Mer rouge. On a, en effet, découvert à Oc-Eo, à côté de sceaux portant des inscriptions sanskrites, une médaille d’or datée de 152, à l’effigie de l’empereur romain Antonin et des intailles de provenance méditerranéenne.

Le “Journal d'Extrême-Orient” dans son numéro du 24 avril 1962, a publié un communiqué officiel dans lequel les autorités viêtnamiennes du Kiên-Giang qualifient Oc-Eo la “Venise de l’Asie”. Ainsi, les Annamites eux-mêmes reconnaissent les réalités historiques de cette région du Cambodge appelée jadis le Fou-Nan. Ce communiqué exprime ainsi la splendeur et la prospérité de la civilisation khmère de ce temps:

“Oc-Eo est une région dépendant de la province de Kiên-Giang, au pied de la montagne Ba-thê et au Sud-Est.
"Selon l’archéologue L. Malleret, Oc-Eo aurait été auparavant une citée, peut-être même la capitale du pays Fou-Nan".

A l’heure actuelle, ce n’est plus qu’une colline de forme rectangulaire de 3 km de long sur 1 km, 500 de large, soit environ 450 hectares, c’est-à-dire la moitié de la superficie d’Angkor-Thom.

Selon les recherches de M. Malleret, Oc-Eo peut être appelée la Venise de l'Asie, une citée engloutie sous les eaux, aux maisons bâties en matériaux légers et en rangées disposées en fonction d’une hydrographie naturelle ou artificielle. Çà et là se trouvaient des temples en pierre ou en brique donc il ne reste plus à présent que quelques fondations enfouies sous plusieurs couches de terre.

Grâce à des recherches persévérantes, l’archéologue a pu trouver des instruments en pierre polie, des poteries, des milliers de perles de collier en verre ou en pierre précieuse, de nombreuses gravures et fétiches en étain, des objets en fer et 1.300 objets en or pesant 1.120 grammes...

Certaines tablettes sont gravées en caractères pali et, grâce à elles, on a pu savoir que la civilisation de Oc-Eo existait entre les IIè et IIIè siècles et qu’elle avait atteint sa pleine prospérité entre le IVè et Vè siècle.

La civilisation de Oc-Eo est formée d’une fusion de nombreuses autres civilisations dont la première, la plus importante, a été, semble-t-il, fondée par un groupe d’hommes “d’origine indonésienne”. Puis un certain nombre de commerçants de l’Inde laissèrent de profondes traces de civilisation indienne dans le pays de Phu-Nan, l’Inde elle-même devait fournir d’importantes quantités de matières premières pour permettre à Oc-Eo de fabriquer des objets d’industrie et d’art dont nous venons de parler.

Un système presque suffisant de canaux permettait au peuple du Phu-Nan de disposer de l’eau nécessaire à l’irrigation agricole.

Un nombre incalculable de poteries, parfois rustiques, parfois artistiques, témoignaient l’expansion de l’artisanat. L’industrie du fer et de l’étain avait également atteint un degré de développement non négligeable, et les produits délicats fabriqués par des chaudronniers, des décorateurs et des sculpteurs apportent la preuve du niveau culturel relativement élevé d’une société organisée et versée dans les arts.

Cependant, l’agriculture et l’industrie n’auraient pas suffi à apporter une telle prospérité à Oc-Eo s’il n’y avait eu ce facteur fondamental consistant dans les relations com-merciales avec les pays voisins. A cette époque, Oc-Eo, distante du golfe de Thaïlande de 11 kilomètres (actuelle-ment 25 km, en raison du retrait constant des eaux), était un port de commerce reliant le golfe et le fleuve Mékong par de nombreux canaux. Oc-Eo se situait d’ailleurs au carrefour des routes entre la Chine, l'Inde et les pays occi-dentaux. De nombreux objets trouvés dans les lieux le montrent: L. Malleret y a découvert des médailles de Rome, une tablette d’or frappée à l’effigie d’Antonin le Pieux datant de l’année 152, et une autre figurante Marc Aurèle... (D’après Tiêng Dôi Miên Nam)”.

D’après les recherches évoquées dans ce communiqué et les récits des voyageurs chinois, Oc-Eo s’était développée non seulement sur le plan commercial mais aussi dans les domaines artisanal et agricole.

Les récits des envoyés chinois mentionnent que “les rois khmers dirigent habilement la politique agricole du Fou-Nan”. L’agriculture est très développée surtout dans le bas-pays (Cochinchine) où la terre est très fertile. Les rois y font construire des barrages et creuser des canaux. Leurs œuvres existent encore actuellement en Cochinchine.

Dauphin Meunier, résumant les travaux des spécialis-tes et plus spécialement ceux de L. Malleret, le découvreur d'Oc-Eo, écrit encore au sujet de la civilisation proto-khmère:

“L’agriculture était florissante. Les rois veillaient à la construction et à l’entretient des réservoirs d’eau et de canaux pour l’irrigation des rizières. Ils transformèrent la Basse-Cochinchine d’un cloaque de boue molle en une terre au limon fertile, en faisant creuser sur plus de 200 kilomètres des collecteurs d’eau et évacuer vers la mer les eaux mortes.”

De ce qui précède, on peut donc conclure que les Kh-mers ont habité et mis en valeur le Bas-Cambodge depuis le premier siècle de l’ère chrétienne.

Quant à Saïgon ou Prey-Nokor (en Khmer, la Forêt royale) elle fut fondée environ deux siècles avant J.-C. Ce serait aux environs de l’année 289 avant J.-C. que les rois khmers s’y installèrent d’après “l’Empire d’Annam” de Sylvestre.

Cependant du Ie au VIè siècle, le territoire qui consti-tuera le royaume du Cambodge se divisait en deux parties: le Fou-Nan au sud, sur la partie inondée de la future Cochinchine et le Tchen-La au Nord, sur le moyen bassin du Mékong.

En expliquant la formation du royaume khmer, B.P. Groslier dans “Angkor, hommes et pierre” (page 9), donne les précisions suivantes sur la naissance des deux États hindouisés, ancêtres du Cambodge actuel :

- En ce qui concerne le Fou-Nan
“Au centre même de l’ère d’expansion indienne, l’Indochine méridionale devint le siège du plus puissant des États hindouisés: le Fou-Nan. Du IIè au VIè siècle, ce royaume occupera en gros l’emplacement du Cambodge méridional et de la Cochinchine actuels, étendant progres-sivement son influence au Siam, à la Malaisie et mêmes aux côtes lointaines de Java et de la Birmanie. Sa popula-tion môn-khmère subit profondément l'empreinte indienne. C'est dans ce creuset founanais que se fondirent éléments indigènes et apports indiens pour former une civilisation originale dont les Khmers hériteront et qu’ils porteront à son apogée.”

- A propos du Tchen-La
“Parallèlement au Fou-Nan se développait un autre royaume hindouisé, le Tchen-La, centré sur le moyen bassin du Mékong. Ce fut le siècle de la principauté des Kambuja auxquels le Cambodge doit son nom. Il n’est pas pos-sible que son fond ethnique, bien que Môn-Khmer, ait été légèrement différent de celui du Fou-Nan. En tout cas, les habitants du Tchen-La évoluèrent dans un milieu autre, moins exposés à l’influence indienne. Cette dualité originelle persistera longtemps dans la civilisation khmère issue de la fusion du Fou-Nan et du Tchen-La.”

Les précisions de B.P. Groslier sur la formation des deux États khmers sont très importantes pour notre étude. Elles précisent l’origine du terme “khmer” d’une part et celle du terme “Kambuja” de l’autre. Elles expliquent en même temps l’origine de la souche cambodgienne actuelle.

D’après B.P. Groslier, le Fou-Nan est habité par la population khmère tandis que le Tchen-La était le siège de la principauté des “Kambuja”. Les deux États frères ont subit les même influences indiennes. Ils sont tous les deux des “États hindouisés”. Cependant, comme dit encore Groslier, le Môn- khmer du Fou-Nan a subi d’une façon très profonde l’empreinte indienne, alors que les “Kambuja” du Tchen-La, bien que “Môn-khmers” également, ont leur fond ethnique légèrement différent de celui des habitants du Fou-Nan.

Par conséquent, la souche khmère, produit de métissage entre les Môn-khmer et l’Hindou a son origine au Fou-Nan (tout le Bas-Cambodge, c’est-à-dire la Cochinchine, plus une partie des provinces actuelles du Sud).

Quant à la souche “Kambuja”, produit de métissage entre les “Môn-khmer mongolique” et le “Kambuja venu de l’Inde”, son origine est au Tchen-La.

Par la suite, le groupe “indo-môn-khmer” du Fou-Nan subira l’influence très marquée de la Chine. Ainsi la population de la partie centrale du Cambodge actuel et de toute la Cochinchine a une origine ethnique plus complexe que ses frères du Nord, cette origine était la souche “sino-indo-môn-khmère.”

Groslier a constaté la différence entre les gens du Fou-Nan et ceux de Tchen-La. Actuellement encore on constate, bien qu’elle soit légère, l’affinité ethnique différente des Khmers de Stung-Treng, de Kratié, de Siemréap, de Kampong-Thom d’une part et des Khmer-Krom de Cochinchine, de Svay-Rieng, de Takeo ou de Kampot d’autre part. Tandis que les Khmers du centre, de Kampong-Cham et Kandal par exemple, sont un peu issus d’une fusion entre les souches du Fou-Nan (groupe sino-indo-môn khmer) et les souches “Kambuja” du Tchen-La.

Cette différence, de nos jours peu marquée, se manifeste dans l’accent du langage et dans la mentalité des populations issues de l’un ou de l’autre groupe ethnique originel.

Quelle que soit la différence des origines ethniques, l’ensemble forme aujourd’hui le “Khmer” ou, en français le “Cambodgien”.

Il faut simplement noter que le mot “Khmer” provient de “Môn khmer”, ou “Khmer du Fou-Nan”, que le terme “Cambodgien” vient de “Kampuchéa” dérivant de “Kambuja” du Tchen-La.

II. Tchen-La et Fou-Nan

II.- LA PÉRIODE D’UNIFICATION DU TCHEN-LA ET DU FOU-NAN

Bien que le groupe môn-khmer ait habité toute la péninsule indochinoise quelques vingt siècles avant J.-C., il ressort de l’histoire et de l’archéologie, que les deux États qui formeront le Cambodge - le Tchen-La et le Fou-Nan- prirent naissance dès le premier siècle de l’ère chrétienne.

Du Iè au VIè siècle, il y eut deux États frères: le Tchen-La s’étendant au Nord sur toute la partie montagneuse de la péninsule, et le Fou-Nan au sud, sur toute l’étendu du delta du Mékong. Les habitants de ces deux États, bien que différents du point de vue ethnique, ceux du Tchen-La appartenant au groupe “Kambuja” de souche mongolique, ceux du Fou-Nan étant issus de groupe “môn-khmer” avec une empreinte indienne plus marquée, subirent les uns et les autres une même influence hindoue et acquirent ainsi une même mentalité, un même langage, les mêmes coutumes et pratiquèrent les mêmes religions.

Du Ie au VIè siècle, le brahmanisme dominait tout le territoire qui formera le Cambodge. Cependant on y constate également la présence du “bouddhisme Mahayana” (ou du grand véhicule). Ouvrons ici une parenthèse en citant des passages du livre de M. Dauphin Meunier (p.17):

“La religion de la cour et des fonctionnaires, pour la plupart Indiens de souche ou indianisés, était le brahmanisme... Le bouddhisme du grand véhicule, associé à un animisme immémorial, était la religion populaire... ”

Possédant par conséquent des caractères communs, les habitants des deux États pouvaient être rassemblés en un seul. Cette unification fut les œuvres des grands rois pré-angkoriens et angkoriens, parmi lesquels domineront deux figures: Bhavavarman et Jayavarman II.


1°/- Bhavavarman réalise l’unification du Tchen-La et du Fou-Nan vers l’an 550 A.D.

Des deux États le Fou-Nan et le Tchen-La, le premier était le plus puissant. Ainsi le Tchen-La resta pendant longtemps vassal du Fou-Nan.

C’est au milieu du VIè siècle, qu’un prince de la dynastie du Fou-Nan, le prince Bhavavarman, petit-fils du roi Rudra-Varman, épousa l’une des princesses de la famille royale du Tchen-La (dynastie du Cruta-Varman). Cette union permit à Bhavavarman, qui monta sur le trône du Tchen-La en 550, de travailler pour réaliser l’unité des deux États.

Des troubles ayant éclaté dans le Fou-Nan, des usurpateurs du trône de Rudra-Varman s’emparèrent de Vyâdhapura, la capitale. Bhavavarman, devenu roi du Tchen-La, entreprit énergiquement la conquête de l’héritage de son grand-père et revendiqua pour lui la royauté du Fou-Nan.

Bhavavarman réussit durant son règne (550-600) à conquérir tout le Fou-Nan.

Cette conquête, d’après G. Coedès, serait le premier “épisode en Indochine de la poussée vers le sud, provoquée par l’attraction des deltas et de la mer qui explique d’ailleurs la répartition actuelle des groupes ethniques.”

Cette conquête du Fou-Nan par le Tchen-La réalise la fusion des deux États. De cette fusion est né le pays khmer et Bhavavarman est ainsi le véritable fondateur du royaume du Cambodge.

Tous les archéologues et historiens sont unanimes pour affirmer la réalisation de cette unité.
Pour B. P. Groslier, elle est bien de Bhavavarman (“Angkor, hommes et pierres”, p. 17).

A. Migot la commente ainsi (“Les Khmers ”, p. 38).
“De cette conquête du Fou-Nan par le Tchen-La et de la fusion des deux pays est né le pays khmer et l’on peut considérer Bhavavarman comme son véritable fondateur. Longtemps encore persisteront toutefois, dans le royaume unifié, des traces de la dualité originelle, dualité de culture et de tradition, dualité ethnique peut-être aussi. Si la population du Tchen-La se rattachait comme celle du Fou-Nan à la grande famille môn-khmère, elle n'en possédait pas moins quelques caractères particuliers dû à l’apport d’éléments mongoloïdes venus du Yunnan et de la haute-Birmanie.”

Les successeurs de Bhavavarman continuèrent l'œuvre d’unification des deux États.

Moura, dans son livre (écrit à la fin du siècle dernier) “Voyage dans le Royaume du Cambodge et du Laos” prend 627 comme date du départ de l’unification du Fou-Nan et du Tchen-La, celle-ci serait l'œuvre de Içana-Varman Ier (615-635), fils de Chitraséna, ce dernier ayant succédé à son frère Bhavavarman Ier sous le nom de Mahendra-Varman.

Moura dit notamment qu’en 627,
“le roi du Chon-Lap (Tchen- La) réunit tout le Fou-Nan sous son autorité. À partir de ce moment, les historiographes chinois ne désignent plus le Fou-Nan que sous le nom de Chon-Lap (Tchen-La, Cambodge). Les chroniqueurs annamites aussi.”

J. Bouchot, lors d’une conférence faite à Saigon, le 9 mai 1926, “Saigon sous la domination cambodgienne” (Bulletin de la Société des études indochinoises, 1926) déclarait également que
“c’est vers la première moitié du VIIe siècle que le Fou-Nan doit d'être passé sous la domination des rois khmers”.

Bouchot citait le “Sin T’ang Chou ou nouvelle histoire des T’ang: 618-906” (K,222, P.2V) où il est écrit que “le roi Ksatrya Içana, au début de la période Tcheng-Kouan (627-649), soumit le Fou-Nan et en posséda le territoire.”

Quoi qu’il en soit, B.P. Groslier en avançant à 550 le début de l’unification, se fonde sur des découvertes et des travaux postérieurs à Moura et à J. Bouchot.

L’unification entre le Tchen-La et le Fou-Nan, commencée par le roi Bhavavarman et poursuivie par le roi Içana-Varman, était encore fragile. L’unité du Cambodge dura quelques temps pour s’effondrer au VIIIè siècle.

L’éclatement de cette unité fut la conséquence des troubles créés par les envahisseurs étrangers. Deux principautés s’érigent alors de nouveau: au Nord, le Cambodge de terre (Bas et Moyen Laos); au sud, le Cambodge de l’eau (région des fleuves et des lacs couvrant le bassin du Mékong, des chutes de Khône à la mer) à l’emplacement du Fou-Nan.

D’après les historiens, ce furent les “pirates javanais” qui, profitant des rivalités des dynasties du Tchen-La et du Fou-Nan, ravagèrent le Cambodge au cours des années 774 et 787. Ces pirates réussirent à imposer aux deux rois frères du Tchen-La et du Fou-Nan leur suzeraineté.

Cette suzeraineté javanaise ne dura pas.

Un nouveau grand roi, Jayavarman II, qui fera la grandeur du Kampuchéa, apparaît sur la scène. Chassant les Javanais, il réalise, en 802, l’union complète des deux principautés: “Cambodge de terre et Cambodge de l’eau”.

2°/- L'unité du Royaume du Cambodge est restaurée et consolidée par le grand monarque khmer Jayavarman II.

Citons André Migot (“les Khmers”, p, 69),
“À l’aube du IXè siècle, un grand roi apparaît: Jayavarman II. Il serait le libérateur du Tchen-La, son unificateur, le fondateur de la dynastie des rois khmers.”

Jayavarman II était un prince khmer que les Malais de Java capturèrent durant leurs incursions au Cambodge pendant la fin du VIIIè siècle.

Une inscription du Xè siècle, citée par A. Migot, évoque l’apparition de Jayavarman II:
“pour la prospérité du peuple, dans cette race parfaitement pure de rois, grand lotus qui n’avait plus de tige, il surgit comme une floraison nouvelle”.

Dauphin Meunier, résumant les auteurs autorisés, situe la date de son avènement (“Histoire du Cambodge”, p.27):
“Juste au moment où Charlemagne restaurait l’empire romain d’Occident, le grand roi Jayavarman II (802-850) affranchit le Cambodge de la suzeraineté de Java et posa les bases de l’empire d’Angkor”
“Rentré par surprise au Cambodge, vers l’an 800, Jayavarman eut d’abord à s’imposer. Il s’installa fortement dans la région de Thbaung Khmoum et, de là, par intrigue ou par les armes, soumit les unes après les autres, les provinces redevenues indépendantes du Cambodge de l’eau... ”


Grâce à Jayavarman II, le royaume du Cambodge ayant retrouvé son unité conserve sa stabilité durant plusieurs siècles.

Jayavarman II est le fondateur de la grande dynastie angkorienne.

À partir de son règne, le Cambodge connut une période d’expansion. Celle-ci fera l’objet de la troisième partie de notre étude sur la formation du royaume du Cambodge.

III. Les frontières du Royaume Khmer à l'époque angkorienne

III.- À l’époque angkorienne les frontières du royaume khmer sont étendues et fixées pour six siècles.- (du IXè au XIVè siècle)

Nous venons de voir comment l’unification définitive du Cambodge de terre avec le Cambodge de l’eau fut réalisée par Jayavarman II en 802.

Nous avons vu également que cette restauration de l’unité du Cambodge n’était que l’affirmation de la vitalité d’une population khmère qui, depuis des siècles, marquait le pays de sa présence.

Dès le règne de Jayavarman II, l’agrandissement du royaume khmer est noté par tous les historiens. Cet accroissement est prouvé par deux inscriptions signées dans l’ouvrage d’A. Migot. L’une concerne l’érection d’un sanctuaire civaïste au Phnom Bayang dans la région de Chau-Doc, à l’extrême sud du Tchen-La d’eau, dans l’actuelle Cochinchine. L’autre est une inscription bouddhique de 886, découverte au nord-ouest de Oubon, tout au Nord du Bassac, dans l’actuel Laos, elle mentionne (p.12) Indravarman comme souverain. Or, il s’agissait là d’une région faisant partie du Tchen-La de terre. L’unification des deux Tchen-La (p.13) progressait donc à grands pas.

Avec Jayavarman II l’histoire du Cambodge entre également dans la “glorieuse période d’Angkor”.

Dans un article publié par “Réalités Cambodgiennes” sous le titre de “La Monarchie Cambodgienne”, Samdech Preah Norodom Sihanouk, écrit: “Jayavarman II réussit néanmoins à réunifier le royaume, reconquiert l’indépendance nationale, et installe la royauté khmère dans la région d’Angkor.”

Cette période qui commence à partir de l’année 802 (intronisation de Jayavarman II) dure plus de six siècles.

Ses deux plus grands rois seront Suryavarman II (1113-1150) et Jayavarman VII (1181-1200). Sous leurs règnes, le Cambodge atteindra son apogée.

Samdech Preah Norodom Sihanouk évoque, dans l’article précité, la grande figure de ces deux glorieux souverains:

“Suryavarman II mena les armées khmères plus loin qu’elles n’avaient jamais été. Les rois des autres pays, qu’il désirait subjuguer, il les vit venir portant le tribut. Il allait lui-même dans le pays de ses ennemis et il éclipsa la gloire du victorieux Raghu (ancêtre de Rama).”
“La grande extension de la souveraineté cambodgienne sur la péninsule indochinoise, au milieu du XIIe siècle, est enregistrée par “l’histoire des Song ”,

selon laquelle le Cambodge est limitrophe des frontières méridionales du Champa au Nord, de la mer à l’Est, du royaume de Pagan à l’Ouest, et du Grahi (dans la région de Ch’aiya et de la baie de Bandou sur la côte orientale de la péninsule malaise) au midi.

Jayavarman VII fit du Champa une province khmère (1203-1220).

Il recula également vers le Nord et l’Ouest les limites de son empire, qui s’étendit jusqu’à Vientiane; il conquit presque toute la Thaïlande actuelle, une partie de la péninsule malaise et de la Birmanie.”

Pendant la glorieuse période d’Angkor, le Cambodge, selon les historiens, aurait compté au moins dix millions d’habitants.

Du règne de Jayavarman VII, nous pouvons citer encore ce qu’en rapporte Dauphin Meunier (p.17), qui s’appuie sur les auteurs autorisés tels que Moura et Coedès: “Par sa mère, Jayavarman VII le victorieux (1181-1201) se rattachait à la dynastie pré-angkorienne; par son père, il descendait du fondateur de la dynastie de Mahidharapura. En lui, se combinèrent en quelque sorte les vertus héroïques de l’une et de l’autre.

Sous son règne, le Cambodge atteignit sans doute sa plus grande expansion territoriale, puisqu’il couvrait, indépendamment du pays khmer, le Champa, les territoires actuels du Laos et de la Thaïlande, une partie de la Péninsule malaise (jusqu’à l’isthme de Kra) et de la Birmanie (entre les fleuves Salwan et Irawadi). C’est ce qui explique que dans l’armée khmère, conduite en 1207 contre le Viêtnam, il y avait des contingents thaïs et Birmans.

Moura, quant à lui, écrivait: “L’ancien royaume khmer, au temps de son plus grand éclat s’étendait du 9è degré de latitude Nord jusqu’au 15è”, c’est à dire depuis la mer de Chine jusqu’au petit État de Korat inclusivement.

La Cochinchine française tout entière était cambodgien-ne alors.

L’influence politique et la domination des Khmers s'exerçaient sur plusieurs États du Laos, voir même jusqu’au Siam.

IV. La période post-angkorienne

IV.- La période post-angkorienne

Unifiée une première fois par Chayavarman vers 550 A.D. une seconde fois par Jayavarmrn II en 802 A.D., Le royaume du Cambodge comprenait à l’époque de l’unification et à celle de la restauration de son unité les anciens territoires du Tchen-La et du Fou-Nan.

Ce royaume connut une période d’expansion à l’ère angkorienne (de Jayavarman II à l’abandon d’Angkor par Ponhea Yat en 1434).

À partir du XIIIè et XIVè siècle, les Siamois à l’Est, les Viêtnamiens au sud, l’attaqueront. Non seulement les Cambodgiens seront refoulés sur leurs premières frontières, celles qui englobaient le Fou-Nan et le Tchen-La, mais ils verront leurs agresseurs pousser au-delà de ces frontières et fouler le sol de leurs ancêtres.

Envahissant les territoires du Tchen-La et du Fou-Nan, pays khmers unifiés par les rois angkoriens, les envahisseurs mettront ainsi en cause l’intégralité territoriale du royaume du Cambodge.

C’est à partir du XIIIè ou du XIVè siècle que le royaume de Siam et de celui d’Annam tenteront de porter atteinte à l’intégralité territoriale de ce territoire.

Charles Lemire, dans son Exposé chronologique des relations avec le Cambodge, précise (p.9): “1558 - Pendant que le Siam reprenait son indépendance et continuait la guerre avec le Pégou, les Cambodgiens dirigèrent une attaque dans l’Est, comme précédemment ”. L’attaque en question était en fait une riposte à une agression annamite.

L’expansion du royaume d’Annam se situe vers l’an 1460. C’est à partir de cette période que les Viêtnamiens, après s’être libérés de la domination chinoise, s’emparèrent d’un pays que le Cambodge avait conquis: le Champa. Charles Lemire dit à ce propos: “En 1460, sous la dynastie Lê, Thanh-Tong Tuan, Tuân Hoa (l’actuelle Huê) et Quang-Nam, les Chams (ou Tsiampois) venaient d’être conquis. Les Tsiampois étaient d’origine malaise et mahométants. C’est l’ancien peuple de Lam-Ap. C’est surtout à partir de 1505 que s’accomplit la conquête de Tsiampa, tandis que la conquête du Bas-Cambodge ne commença qu’au XVIIè siècle.

Il convient de préciser ici, que le Champa n’était pas à l’origine un territoire khmer. Occupé par les Chams venant de Java, il fut conquis par les Khmers avant de l’être par les Viêtnamiens. Par conséquent, l’occupation du Champa par ceux-ci ne saurait faire l’objet d’aucune protestation. Il n’en va pas de même du Bas-Cambodge, l’actuel Kampuchéa Krom (l’ex-Cochinchine française), où vivaient il y a plus de vingt siècles les Môn- khmers desquels descendent les Khmers qui, après eux, occupèrent le pays jusqu'à nos jours sans aucune interruption.

L’invasion du Bas-Cambodge par les Viêtnamiens fut donc l’objet non seulement des protestations constantes des Cambodgiens, mais encore la cause de luttes incessantes pour la libération de ce territoire. Cette lutte continua d’une façon ininterrompue jusqu’à l’arrivée des Français. (Nous en parlerons dans notre argumentation juridique, objet de la deuxième partie de ce mémoire).

Section II. Intégralité du Cambodge

SECTION II.

L’INTÉGRALITÉ TERRITORIALE
DU CAMBODGE
S’ÉTEND À LA COCHINCHINE


De ce rappel sommaire de la formation du royaume du Cambodge, nous pouvons tirer une conclusion relative à l’intégrité territoriale du Cambodge.
Résumons en six points cette conclusion:

1) - Le royaume Khmer est formé historiquement depuis le premier siècle de note ère. L’unification entre le Cambodge de terre (le Tchen-La) et le Cambodge de l’eau (le Fou-Nan) fut réalisée complètement au VIIIè siècle. Toute la partie sud de la Péninsule indochinoise, ex Cochinchine comprise, faisant partie intégrante du royaume du Cambodge.

2) - Le Cambodge ainsi unifié fut agrandi et trouva sa pleine expansion pendant environ 6 siècles (de 802, avènement du Jayavarman II à la fin du XIVè siècle). Pendant cette période, son territoire englobait le Champa, le Bas-Laos, la Thaïlande jusqu’aux frontières de la Birmanie au Nord et celles de Malaisie au sud. C’était l’époque de l’Empire khmer.

3) - Au XVè siècle, le Royaume du Cambodge perdit ses provinces dépendantes (Champa, Bas-Laos, Thaïlande) et retrouva ses frontières initiales, celles qu’il possédait au moment de son unification.

4) - Le Bas-Cambodge, l’actuel Kampuchea-Krom (l’ex-Cochinchine française - autrefois le Fou-Nan) est historiquement et incontestablement un territoire khmer.

5) - Les Viêtnamiens ne commencent à annexer par la force le Bas-Cambodge qu’au XVIIe siècle, donc à partir d’une date relativement récente (nous en parlerons plus loin). Le Bas-Cambodge, pays khmer, est gouverné et administré par les autorités khmères depuis les origines. Sous l’occupation des Viêtnamiens, puis des Français, la royauté cambodgienne conserve encore son prestige auprès des populations khmères vivant au Kampuchea Krom.

Il convient aussi de signaler que sous l’occupation française, les rois khmers continuèrent d’exercer leur souveraineté religieuse sur la hiérarchie religieuse bouddhique de Cochinchine.
Cette hiérarchie continua à relever de l’autorité des supérieurs des ordres religieux du Cambodge qui nommaient les Mékhon et les Chau Athicar (respectivement supérieurs des circonscriptions religieuses et supérieurs des monastères). Le siècle de la “section sud de l’Institut bouddhique” se trouve toujours dans le centre de Cochinchine.

Le régime du président Diêm cherche, depuis son accession au pouvoir, à détruire ces témoignages irréfutables entre tous de l’appartenance de la Cochinchine au Cambodge, en décrétant des mesures propres, à détacher les bouddhistes khmers de Cochinchine de leurs frères du Cambodge.

Moura, dans son ouvrage (déjà cité) sur l’Histoire du Cambodge, relate les luttes et les guerres continuelles auxquelles se livraient les Khmers pour libérer leurs provinces du Sud de l’emprise viêtnamienne; il souligne qu’aucune convention ni aucun traité n’étaient intervenus pour légitimer l’occupation des Annamites sur la Cochinchine:

“Ce fut vers 1675 que commencèrent ces guerres continuelles entre les deux peuples et l’annexion progressive de tout le delta du fleuve au royaume annamite... ”.

“Cependant aucune convention formelle, aucun traité régulier n’intervinrent pour régler et légitimer la prise de possession par les Annamites de tout cet immense et riche pays. Il n’y eut pas de frontière tracée... ”.

6) - L’intégrité territoriale du Cambodge s’étend donc depuis l’époque du Fou-Nan et du Tchen-La.
sur les 17 provinces du Cambodge de terre (Cambodge actuel)

sur les anciennes provinces du Cambodge de l’eau, l’ex-Cochinchine, le Kampuchea-krom des Khmers.

Par conséquent, l’occupation de la Cochinchine par les Annamites, au XVIIè siècle, et par les Français au milieu du XIXè siècle, a violé l’intégrité territoriale du Cambodge.

Cette occupation, qui est une situation de fait, n’affecte en rien la situation juridique du Kampuchea Krom, qui reste terre khmère. Nous arrivons maintenant au deuxième chapitre de notre mémoire.

CHAPITRE II. Souveraineté permanente du Cambodge

CHAPITRE II

LE FONDEMENT JURIDIQUE DE LA SOUVERAINETE PERMANENTE
DU CAMBODGE SUR LA COCHINCHINE


L’intégrité territoriale du Cambodge s’étendant à la Cochinchine comme nous l’avons démontré dans le premier chapitre de ce mémoire, nous pouvons en tirer cette conclusion “que l’occupation du Bas-Cambodge par les Viêtnamiens n’est pas une occupation d’un territoire sans maître”. Il s’agit de l’occupation illégitime.

Samdech Preah Norodom Sihanouk dans “La Monarchie Cambodgienne”, publiée par l’hebdomadaire “Réalités Cambodgiennes” (déjà cité) souligne que notre "peuple et la plupart de nos rois, princes et princesses ont souffert et versé leur sang pour le maintien de l’intégrité nationale”.

“Notre malheur vient de certaines trahisons qui ont abouti à des cessions de provinces, que d’ailleurs aucun acte juridique n’a jamais validées”.

L’expression “aucun acte juridique n’a jamais validées”, précise bien la situation juridique de la Cochinchine qui reste toujours khmère.

J. Moura affirme également à la fin du siècle dernier “qu’aucune convention formelle, aucun traité régulier n'intervinrent pour régler et légitimer la prise de possession par les Annamites de tout cet immense et riche pays. Il n’y eut pas, ajoute-t-il, de frontière tracée... ”

La souveraineté juridique du Cambodge sur le Kampuchea-Krom repose sur les principes défendus par le droits des gens et les pratiques internationales.

A ce sujet, trois arguments sont à retenir :

1º/ - L’occupation de la Cochinchine par les Annamites étant une occupation par la force des armes d’un territoire dont les Khmers étaient les maîtres, ceux-ci se sont livrés à des luttes continuelles pour libérer ce territoire des envahisseurs annamites.

Le droit international appliqué par la Société des Nations (Répertoire des questions de Droit international général posées devant à S.D.N. 1920-1949, §. 222, 385 et 387) et repris dans la Charte des Nations Unies (paragraphe II du Préambule) s’oppose formellement à l’emploi de la force des armes pour occuper le territoire d’un État.

2º/ - Les rois khmers et le peuple khmer n’ont jamais renoncé à leurs droits sur la Cochinchine. Ils protestèrent d’une façon énergique et constante contre l’occupation de ce pays, tant auprès de l’empereur d’Annam qu'auprès de la France, lorsque celle-ci s’installa en Indochine et lorsqu’elle céda la Cochinchine à l’empereur Bao-Dai.

Pour la Société des Nations (§ 391 du Répertoire précipité) et pour son héritière, l’Organisation des Nations unies, la souveraineté d’un territoire n’est pas transféree tant que l’État qui détient cette souveraineté n’a pas formellement renoncé à ses droits.

3/ - Avant l’arrivée des Français, il n’y a pas de frontière tracée entre Cambodge et Viêtnam. Le Cambodge par la suite, ne donna jamais son consentement au tracé unilatéral de la frontière khméro-cochinchinoise. Ce tracé fait unilatéralement par la France est nul de plein droit.

“Les frontières d’un État ne peuvent être fixées qu’avec son consentement” est-il précisé aux articles 250 et 354 du Répertoire des questions de droit international général posées devant la D.S.N.

Les trois principaux arguments que nous devons développer pour souligner la base juridique de la souveraineté du Cambodge sur les terres du Kampuchea-Krom seront appuyées par les documents officiels et par les notes abondantes des historiens ou des chroniqueurs relatant non seulement les protestations faites mais encore et surtout des luttes continuelles engagées par les rois et le peuple khmer pour récupérer les riches provinces khmères de Cochinchine.

Dans une publication du Palais Royal de Phnom-Penh, en date du 25 avril 1957, intitulée “Rois du Kampuchéa”, Samdech Penn Nouth, doyen du Haut-Conseil du Roi, en préfaçant cette brochure, écrivait :

“Cette brochure a pour but de faire connaître les efforts incessants de nos Rois pour récupérer les terres du Bas-Cambodge occupées à l’encontre de tout droit par la Cour de Hué, et leurs tentatives, face aux autorités locales et gouvernementales françaises, pour défendre leur peuple contre les abus du protectorat.
“L’intérêt des lettres et mémoires des souverains et des princes est évident: il sera une révélation pour beaucoup de Khmers et un sujet d’étonnement pour les étrangers... ”


Nous trouvons dans cette publication des documents officiels très importants en particulier les lettres de S.M. Ang Duong, adressées à Napoléon III, empereur des Français, pour réclamer, de ce dernier, les provinces khmères de Cochinchine.

Les arguments en question, font l’objet de deux sections.

I.- Occupation irrégulière et par la force des armes, de la Cochinchine, terre cambodgienne, par les Viêtnamiens, puis par la France.

II.- Les prestations constantes du Cambodge contre les occupants de la Cochinchine.

Nullité de la cessation de la Cochinchine par la France à l’empereur Bao-Dai et nullité du tracé unilatéral, effectué par la France, de la frontière khméro-Cochinchinoise.

Section I : Occupation irrégulière et par la force

SECTION I

OCCUPATION IRRÉGULIÈRE
ET PAR LA FORCE
DE LA COCHINCHINE,
TERRE KHMÈRE,
PAR LES VIÊTNAMIENS
PUIS PAR LA FRANCE.

I . - CONSIDÉRATION GÉNÉRALE

La Cochinchine est habitée par les Khmers depuis l’époque du Fou-nan, soit depuis vingt siècles.

Dès le début du XVIIe siècle, les Viêtnamiens, par des manoeuvres ou par la guerre, pénètrent sur le territoire khmer de la Cochinchine.

Les Khmers, aussi bien ceux du Kampuchea-krom que ceux du Kampuchea-Loeu (Haut-Cambodge) ne laissèrent point les envahisseurs occuper paisiblement leurs provinces. Ils luttèrent contre les Viêtnamiens et les repoussèrent à plusieurs reprises.

L’occupation de la Cochinchine par l’Annam et ensuite par la France ne fut donc pas une “occupation de terre sans maître”. Cette occupation était donc illégitime.

Dans son “Traité de droit international publique” (ou Droit de la paix), Marcel Sibert, directeur de l'Institut des hautes études internationales de l’université de Paris, donne la définition suivante de l’occupation (§ 600-p. 860) :

“L’occupation est le fait par un État d’appréhender avec l’intention d’y exercer la souveraineté, un territoire sans maître au moment où l'occupation s’accomplit, c’est à dire qui n’a pas encore fait ou qui ne fait plus l’objet de l’exercice de souveraineté ”.

Vattel, dans son traité “Le droit de gens ” (livre 1, chap. XVIII- § 207), en fondant l’occupation d'un territoire sans maître sur le droit naturel déclare que... “tous les hommes ont un droit égal aux choses qui ne sont point encore tombées dans la propriété de quelqu’un; et ces choses là, ajoute-t-il, appartiennent au premier occupant ”.

Or, il est incontestable que les Khmers sont les premiers occupants de Cochinchines et non les Viêtnamiens.

Premiers occupants du Bas-Cambodge, les Khmers n’abandonnèrent jamais ce territoire et résistèrent continuellement aux agressions venant de l’Annam.

Moura précise bien que “ce fut vers 1675 que commencèrent ces guerres continuelles entre les deux peuples et l’annexion progressive de tout le delta du Fleuve du Royaume annamite”.

Cette phrase de Moura, en confirmant la résistance khmère, démontre bien l’occupation irrégulière d’un territoire condamnée par le droit des gens et les règles internationales.

Quant à la conquête, elle est condamnée par le droit international reconnu lui-même par la Constitution française (titre VI) du 3 septembre 1791: “la Nation française renonce à entreprendre aucune guerre dans le but de faire des conquêtes et n’emploiera jamais ses forces contre la liberté d’aucun peuple”.

Selon le préambule du Pacte de la Société des Nations, chaque État est tenu d'accepter l’obligation de “ne pas recourir à la guerre” et “d’entretenir au grand jour des relations internationales fondées sur la justice et l’honneur”.

La Charte des Nations unies, aussi bien dans son préambule que dans son article 2 (§ 5) interdit aux États de recourir à force pour porter atteindre à l’intégrité territoriale de l’un d’eux.

“Les Membres de l’organisation (art. 2, § 5) s'abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations unies”.

Au temps de la Société des Nations , la Cour permanente de justice internationale (C.P.J.I.) “reconnaît (voir Organisations internationales 1961, de Marc Stanislas Korowiez) la souveraineté (l’indépendance) des États comme un principe de base du droit international”.

La Cour internationale de justice (C.I.J.) actuelle a, de son côté, pris directement position plusieurs fois à l’égard des problèmes se rapportant directement à la souveraineté des États, en condamnant toute forme d’intervention par la force.

Dans son arrêt du 9 avril 1949 (C.I.J. Rec. 1949, p.35) Dans l’affaire du Détroit de Corfou, la Cour internationale de justice a rappelé qu’“entre États indépendants le respecte la souveraineté territoriale est l’une des bases essentielles des rapports internationaux”.

Dans cet arrêt, la Cour se prononça d’ailleurs énergiquement contre toutes formes d'interventions: “Le prétendu droit d’intervention ne peut être envisagé par elle que comme la manifestation d’une politique de force, politique qui, dans le passé, a donné lieu aux abus les plus graves et qui ne saurait, quelle que soient les déficiences présentes de l’Organisation internationale, trouver aucune place dans le droit international... ”

Ainsi, L’occupation par la force du territoire d’un État étant unanimement condamnée par le droit international, l’occupation par les Viêtnamiens d’abord, par les Français ensuite de la Cochinchine, territoire faisant partie du royaume du Cambodge, est condamnée de la même façon!

II. Occupations irrégulières

II.
LES FAITS HISTORIQUES OCCUPATION IRRÉGULIERE DE LA COCHINCHINE TERRE CAMBODGIENNE PAR LES VIÊTNAMIENS

Il convient de distinguer deux époques :

+ celle qui précède l’avènement du roi Ang Duong et

+ celle qui fait suite.

A. Avant l'avènement de Ang Duong

A.
- Avant l’avènement du roi Ang Duong

1º/ Les premières années de l'agression viêtnamienne

De nombreux historiens datent les relations qui s ’établirent entre l'Annam et le Cambodge, de l’arrivée à la cour khmère d’une princesse d'Annam que Chey Chettha ou Chey Chessda II (1618- 1628) avait épousée en 1620 et qu’il avait élevée (Histoire du Cambodge, A. Leclère, p. 33) “à la dignité de reine sous le titre Samdech Phéakavotey preah srey vor Khsatrey ”.

En 1623. le roi d’Annam obtient de Preach Chey Chessda II l’autorisation de fonder des comptoirs dans l’extrême sud de la Cochinchine, en particulier à Saïgon. Leclère note à ce sujet: “le pays où sont aujourd’hui situés les villages de Saïgon et de Cholon ne portait de nom de Prey-Nokor (forêt royale). Son nom, dit Leclère, était “Prey-Kôr ” (forêt des ouatiers) et c’est de ce nom que le mot Saïgon a été tiré. Les deux caractères chinois avec lesquels on l’écrit signifiant en effet “bois et ouatier” (cây gon).

Il est à remarquer de suite que l’autorisation accordée par Preah Chey Chessda au roi de Hué n’est pas un acte juridique valant un traité cédant la Cochinchine aux Annamites. Ce n’est qu’une faveur accordée par un roi à des étrangers. Cet acte relève du droit interne d’un État. Les Annamites cependant profitent de cette faveur de Preah Chey Chessda pour attaquer les Khmers et s’emparait de leurs provinces cochinchinoises.

A. Leclère écrit dans son “Histoire du Cambodge” p.339 “En 1623, une ambassade annamite apportant de riches présents vint demander au roi Chey Chettha, gendre du roi d’Annam, l’autorisation de fonder des établissements annamites dans l’extrême sud du Royaume et, afin de les soutenir, le droit d’établir une douane à Prey-Kôr (Saïgon). Soit que le roi n’osât repousser cette demande, soit que sa reine annamite l’ait engagé à la bien accueillir parce qu’elle venait de son père, il donna les deux autorisations demandées et ce fut de cette manière que les Yuons ou Annamites pénétrèrent au Cambodge et commencèrent à s’emparer du pays que nous appelons actuellement la Cochinchine”.

A. Migot relate, de son côté (“les Khmers ”, p. 269) que “les empiètements annamites s’étendront systématiquement jusqu’à l'éviction presque totale des Cambodgiens” et il l’ajoute “aujourd’hui un de plus importants sujets de revendication de ce pays et le retour à la mère-patrie de cette province qui compte dans sa population plus de trois cent mille Cambodgiens”.

Dix-neuf ans plus tard, sous le règne de Bautum-Réachea II, connut sous le mon de “Ponhea Chaut, Sdach chaul Sasna Chvea ” (1642-1659), le Cambodge a des difficultés avec les Hollandais qui, après avoir conquis les Indes néerlandaises, tentent de s’installer au Cambodge. Ces Hollandais y trouvèrent des Portuguais, leurs ennemis. D’après A. Leclère (“Histoire du Cambodge ” p. 346) “les deux nations, qui d’ailleurs se faisaient une très vive concurrence, se haïssaient mutuellement... Sur l'instigation des Portuguais et des Malais, le roi du Cambodge soupçonnant les Hollandais d’être “espions des Siamois”, donna l’ordre d’assassiner les Hollandais, de piller leur établissement et de s’emparer de leur vaisseau, “Le Noordwyck” et de leur yatch, “Le Ryswyck” (p.348)

L’ayant appris, les Hollandais “résolurent de venger ce massacre”. Ainsi les Viêtnamiens ne sont pas seuls dans leurs entreprises d'agression. Charles Lemire dans son “Exposé chronologique” rapporte qu’en 1643, “Rongemontes, ambassadeur des Hollandais et sa suite furent assassinés. Les Hollandais des vaisseaux furent en partie massacrés. Ils durent se venger les années suivantes en poussant les Annamites à la guerre avec le Cambodge et à conquête de ce pays”.

Tous ces événements favorisent énormément les ambitions des Annamites qui, après avoir “avalé” tout le Champa, veulent absorber non seulement la Cochinchine, mais le Cambodge tout entier. Les richesses du Cambodge, ses terres fertiles, entretiennent les convoitises annamites. Nous en trouverons la confirmation dans la bouche d’un historien viêtnamien, Truong-Vinh-Ky. A. Leclère cite: “Le royaume du Cambodge, dit l’historien Truong-Vinh-Ky, avec ses grands fleuves, ses innombrables arroyos et ses fécondes rizières lui parut une belle proie ”.

Les Annamites, aidés par la veuve de Preah Chey Chessda, lancent alors leurs premières attaques contre le Cambodge. En 1658, une armées de 20 000 hommes, sous les ordres du général Ong-Chieng-Thu, attaque le roi Chan. Le général annamite triomphe et le roi khmer, pris par les Annamites avec sa suite de mandarins, fut enfermé dans une cage de fer et déporté à Quang-Binh sur la frontière de l’Annam-Tonkin.

Les Viêtnamiens pourtant ne sont pas encore maîtres de la situation. Les princes khmers se soulèvent et regroupent l’armée pour chasser le général Ong-Chieng-Thu et ses troupes. D’après Leclère (H.C. p. 352), ce général “fut obligé de battre en retraite et sortit du Cambodge, en 1659, en emportant un immense butin”.

Voilà comment se déroulèrent les premières années de l'agression viêtnamienne. Bien que les Khmers aient pu chasser les envahisseurs du Cambodge, il n’en restât pas moins des éléments indésirables qui s’établirent alors dans les provinces de Baria et de Daung-Nay (Donnaï).

Au moment des querelles de la Cour, vers l’année 1658, les princes se soulevèrent contre le roi (Prince Chan), A. Leclère écrit à ce sujet:

“Les princes furent battus dès les premières rencontres et se réfugièrent près de la vieille reine, veuve de Chey Choettha, annamite d’origine, qui les décida à demander des secours au roi d’Annam. Celui-ci, dont les sujets - vagabonds, déserteurs, bannis ou autres - étaient venus au Cambodge, s’étaient mêlés à la population indigène et établis principalement dans les provinces de Baria et de Daung-nay (Donnai), crut avoir trouvé une bonne occasion de s’emparer du pays ”.

2º/ Les 3.000 Chinois renvoyés par le roi d’Annam au Cambodge.
D’après Leclère, en 1680 (règne de Ang-Saur ou Chey Choettha IV - 1675-1688), un général chinois nommé Duong-ngan-Dich, partisan des Ming, vaincu par l’armée de Khanh-Hi, aborda en Annam. Sur les 200 jonques de son armée, il en resta une cinquantaine avec 3.000 hommes. Il se rendit à Tourane avec son armée, fit sa soumission à l ’Annam et demanda des terres. “ Le roi d’Annam, écrit Leclère, qui ne voulait pas avoir ces 3.000 étrangers près de lui, non cependant sans avoir prévenu le roi Chey Choettha, les envoya au Cambodge, dans les provinces de Baria et de Daung-nay. Mais, mécontent de Baria, le général chinois choisit alors Mytho avec la moitié de son armée et laissa l’autre lot à Baria sous le commandement de son lieutenant Trân ”.

Là encore, ce fut un acte irrégulier. Le roi d’Annam n’avait pas le droit d’autoriser des étrangers à s’installer au Cambodge. Cette installation de 3.000 réfugiés chinois à Baria et à Mytho, ne mettait pas pour autant, en cause la souveraineté du Cambodge sur cette région.

3º/ Rivalités entre Siamois et Annamites pour le partage de leur proie, le Cambodge.
Dès 1660, les Siamois, jaloux de l’avance annamite, tentèrent par tous les moyens d’écarter les Annamites d’un territoire qu’ils considéraient comme leur proie future (Histoire du Cambodge par A. Leclère, p. 352). C’est ainsi qu’à partir de cette date, les Siamois s’intéressèrent également à la Cochinchine.

En 1684, le roi d’Ayuthia qui, dit Leclère, “ne cherchait qu’à rallumer la guerre civile au Cambodge”, envoie une armée par terre et par eau qui fut détruite par le roi Ang-Saur.

Quant aux Annamites, ils envoyèrent une troupe de 5.000 hommes. Cette troupe rencontra à Veal-Hong, l’armée royale commandée par le “Ponhea Phakdey Sangream ”. Cette troupe annamite dit Leclère, “fut battue et obligée de regagner rapidement Chruoy Changva. Le général cambodgien, voyant leur désordre, poursuivit les Annamites, passa le fleuve sur des radeaux, attaqua la citadelle de l’île et s’en empara”.

L’armée ennemie, ajoute Leclère (p. 359), prise de panique, se débanda, entraîna ses chefs, et les généraux annamites eurent beaucoup de peine à regagner la Cochinchine”.

Une fois de plus, la résistance khmère s’était manifestée devant l'agression annamite et avait vaincu.

4º/ La révolte des Chinois de Mytho.
Sur les incitations de Huynh Tân, un des lieutenants chinois, les Chinois de Mytho assassinent Duong-ngau-Dich et veulent ériger le pays en principauté. Les chemins sont barrés et les Cambodgiens arrêtés.

Le roi du Cambodge prend des précautions en élevant des forts à Phnom-Penh, à Bak-au-nam (Banam) et à Gô-bich.

Grâce à ses manoeuvres, l’armée annamite réussit à réduire les Chinois de Mytho, et marche ensuite sur Phnom-Penh mais elle est repoussée par l’armée royale.

5º/ L’occupation des provinces méridionales de Saïgon, Baria et Bienhoa, en 1699.
Samdech Preah Norodom Sihanouk relate, dans la “Monarchie cambodgienne” les circonstances de la prise par les Annamites des provinces khmères à Bienhoa, Baria et Saïgon.

“Sept années passent (environ 1699). Le mandarin Oknha Norin Em conçoit le projet de renverser le roi (Ang-Sor)”.

Les Annamites le soutiennent avec 20.000 hommes de troupe.

Les chroniqueurs disent que le roi Chey Choettha IV, surpris par cette brusque agression, se replia à Pursat. Là il put réunir 40.000 guerriers. Les armées khmères et les annamites se rencontrèrent à Kompong-Chhnang. Les Annamites furent refoulées vers les embouchures de Mékong, où ils purent se maintenir et s’établir définitivement à Bienhoa, Baria et Saïgon."

D'après Leclère, “le traître Norin Em fut mis à mort par les soldats annamites un peu avant que son armée reprît la route de Sud”.

6º/ Les actes de piraterie du Chinois Mac-Cuu sur le littoral du golfe de Siam (Hatien, Phu-Quoc) en 1715.

Mac-Cuu, un Chinois originaire de canton, était fermier des jeux de Phnom-Penh. Devenu riche, il rêvait de faire mieux et plus grand qu’il n’avait fait jusque là. Il alla s'établir à Péam (Hatien) et, écrit Leclère, “réunit autour de lui une bande nombreuse de pirates chinois et annamites, gens de sac et de corde qui ne demandaient qu’à servir sous un chef énergique”.

Mac-Cuu réussit à s’emparer de sept centres importants: d’abord Péam qui reçut le nom d’Hatien, Phu-Quoc que les Cambodgiens nommaient alors Koh-Trâl, Srêluong-Cai qui était Sré-Ambel (dans la province de Kampong-Som) Vuong-Thom (Kampong-Som), anciennement Krâmuon-sa, Cau-Vot (Kampot) et Ca-mau autrefois Tuk-Khmau, dans le sud.

Ces derniers centres furent récupérés plus tard par le roi du Cambodge, il n’y resta au pirate Mac-Cuu que deux centres, Péam et Koh-Trâl. Mac-Cuu les offrit au roi d’Annam qui le nomma gouverneur et général de cette région (1715).

Ces actes de piraterie ne sauraient bien entendu, avoir la moindre valeur juridique.

7º/ Malgré la résistance organisée par les rois et le peuple khmers, les Annamites réussirent à s’accrocher à My-Tho, Vinh-Long et ensuite à Bassac.

Au moment où les Annamites s’avancent dans le sud-est de la Cochinchine, les Siamois opèrent au sud-ouest du royaume (de 1719 à 1722).

5.000 hommes débarquent à Péam (Hatien) et 10 .000 autres assiègent Oudong.

À Hatien, l’avantage fut pour les Khmers qui réussirent à couler plusieurs navires siamois à coup de canon. Mais Oudong est pris et la Cour doit reconnaître la suzeraineté du Siam.

En 1730, un Laotien du village de Preah Saut (Baphom) soulève de nombreux Khmers et exécute un raid en pays occupé par les Annamites et fait grand carnage de l’ennemi.

En 1731, le roi d’Annam voulant laver cet affront, lance, en représailles, une armée considérable contre le Cambodge. Mais les troupes annamites sont écrasées par l’armée de Preah Sotha qui, après s’être retiré à Peam Treng, a ordonné des levées générales et marche en tête contre l’ennemi jusqu’à Phnom-Penh.

Cependant, les Annamites ne se retirèrent pas. Ils reviennent à la charge avec une “armée plus formidable que la première”.

De Santuc, le roi organise la résistance et réussit de nouveau à repousser les envahisseurs hors du) Royaume. Néanmoins ces derniers parvinrent à s’accrocher à Mytho et à Vinh-Long.

Les envahisseurs annamites harcèlent le gouverneur khmer de Bassac (Soc Trang ou Srok Treang), Norin Toc, et envahissent cette province. Toc réussit à les rejeter, après un âpre combat dans l’île de “Ca-hong peam-Misâr”. Mais les Annamites reviennent et s’emparent du Bassac (Soc Trang).

Au cours du règne Thommo Reachea (1738-1747) l’histoire enregistre une lutte terrible entre les Khmers de bassac et les Annamites envahisseurs.

A. Leclère écrit (Histoire du Cambodge, p. 378), “Les annalistes ont, à cette date, enregistré une inondation extraordinaire du Mékong et une lutte qui survint entre les Cambodgiens de la province de Bassac (Soc-Trang) et les Annamites de la même province. Ceux-ci, ayant été battus, se retirèrent au Koh Hong péam-mîsa, une île du Mékong, et s’y organisèrent comme s’ils en étaient souverains”.

8º/ Le roi Thommo-Réachea tente de reprendre Hatien.
Deux ans après la mort de Mac-Cuu, vers 1738, le roi du Cambodge Thommo-Réachea, profite d’une querelle survenue entre les Cambodgiens de Hatien et les gens de Mac-Ton, qui avait succédé à son père (1736), pour tenter de s’emparer lui-même d’Hatien. cette tentative échoue.

9º/ Malgré les protestations khmères, le roi d’Annam nomme en 1754 un vice-roi pour la Basse- Cochinchine (De Binh-Thuan à Vinh-Long) qui réside à Prey-Nokor (Saïgon). Quant à Hatien, il est toujours gouverné par Mac-ton, dit Mac-Thieu Tu par les Annamites et Sutot par les Khmers.

10º/ En 1756, les khmers anéantissent plus de 5000 Mois à Mytho.
Charles Lemire rapporte ainsi l’avènement: “Le gros de l’armée annamite étant au fort de Mytho, elle avait pour auxiliaire 10 000 Moïs venus des montagnes de Binh-Thuân pour se fixer à Go-Vap. Mais à la suite d’un engagement avec les Cambodgiens, 5 000 Moïs périrent et les autres allèrent se fixer près de la montagne de Tay-Ninh”.

11º/ Durant le règne de Ang-Non (1775-1779) la résistance khmère remporte d’éclatantes victoires et réussit à reprendre Vinh-Long et Mytho.

Montant sur le trône à l’âge de 36 ans, Ang-Non ou Ang-Réam Réachea, fait couler des canons, fabriquer des fusils, de la poudre, des boulets, des balles et construire deux citadelles, l’une à Phnom-Penh, l’autre à Mukh Kompul pour résister aux agressions incessantes des Annamites et pour libérer les provinces khmères de Cochinchine.

La révolte des Tay-Son éclate et menace Hué (1775). Le gouverneur annamite de Saigon et le roi Ya-Long (Ngûyen Phuoc Thoan, dit Gia-Long) s’inquiètent. Dans la Basse-Cochinchine un soulèvement a lieu et le gouverneur annamite, Ong Chas Ches, au lieu de marcher, cette fois-ci, contre le roi du Cambodge, lui propose de venir à son secours.

Ang-Non connaissant ses voisins, refuse en disant “qu’il ne voulait avoir aucune relation avec les Annamites qui l’avaient combattu avant son accession au trône”.

Le gouverneur annamite n’insiste pas mais ayant réprimé la rebellion chez lui, il tente de se venger en portant la guerre au Cambodge. à Phnom-Penh, il trouve une forte armée khmère. D’après A. Leclère “vingt combats eurent lieu autour de la citadelle et presque toujours les Annamites furent vaincus. Quand ils eurent perdu beaucoup de monde, ils se trouvèrent dans l’impossibilité de se ravitailler, parce que tout le pays était soulevé autour d’eux et surtout derrière eux”. Ils s’enfuirent alors de la citadelle. “Le roi le poursuit et prend Vinh-Long et Mytho, en 1776 (“Histoire du Cambodge” par A. Leclère, p. 390).

12º/ Le roi de Siam donne une armée composée de Khmers au roi d’Annam pour réprimer le soulèvement des Tay-Son. Le Cambodge est entre les mains du mandarin Bên.

En 1784, le roi Gia Long d'Annam ayant signé avec le roi Chat Tri du Siam un traité d’alliance, celui-ci donne à Gialong une armée composée non de Siamois mais de Khmers.

Charles Lemire dans son “Exposé Chronologique” p. 21, écrit: “Le roi siamois donne à Gialong une armée de 20 000 hommes. Avec cette armée composée de Cambodgiens recrutés à Nam-Vang (c’est-à-dire à Phnom-Penh) et Sadec, Gialong obtint d’abord de grands succès mais, défait par les Tay-Son, il ne restent plus que 2 ou 3.000 traversant le Cambodge”,

Après la défaite, en 1787, Gialong passe au Siam, Huê étant pris par les Tay-Son.

Gialong s’enfuit de Bangkok et se cache à l’île Koh Trâl (Phu-Quoc). Ayant recruté et rassemblé un grand nombre de partisans, il envahit les provinces de Tuk-Khmau (Camau) de Trang Giang (Rach-Gia) et les soumet à sa cause.

Le sort du Cambodge échoit, à ce moment, au yommoreach Bên, l’homme des Siamois “l’infâme Bên”, comme l’appelle J. Moura.

Gialong, ayant relevé son prestige, vint à Oudong demander l’appui du Chauvea Bên pour chasser les Tay-Son de Saïgon d’où ils commandaient toute la Cochinchine méridionale. “L’infâme Bên” accepta de l’aider en formant une armée qu'il joignit à l'armée annamite de Gialong et partit pour Saïgon avec le Chakrey et le Yumreach (H.C. A. Leclère. p. 401).

“Grâce au concours de l’armée khmère, les Tay-Son furent battus et leur chef, l’Ong-Choc Sim fut tué. Gialong partit pour Huê et les Cambodgiens rentrèrent à Oudong Loeu-chey (1792)”.

Gialong fut peu reconnaissant envers le Cambodge de l’aide que lui avaient fournis les 20 000 khmers de l’armée envoyée par Bên pour l’aider à vaincre les Tay-Son.

“En 1806, nous apprend Charles Lemire, Gialong manifesta des tendances à envahir la frontière cambodgienne.

A l’époque où Neak Ang Chan devint roi du Cambodge, le roi de Cochinchine voyant qu’il était jeune, envoya des gens franchir la frontière cambodgienne pour effrayer et opprimer le peuple de ce pays”.

Quant à “l’infâme Bên”. après avoir donné les provinces de Battambang et d’Angkor aux Siamois, il régna à Battambang en tant que “vice roi”, recevant les ordres directement du roi de Siam qui lui a conféré le titre de Hua-muong”. Il mourut “en Siamois et en traître à la nation khmère, en 1811”.

13º/ Les disputes et les intrigues des Siamois et des Annamites dans leurs subversions et leurs guerres pour démembrer le Cambodge, s’accentuent à partir de 1806, année de l’avènement de Ang-Chan.

“Ces deux ennemis, écrit A. Leclère, se faisaient peur l’un à l’autre et lui, la proie, (le Cambodge) demeurait entre eux, tremblant, prêt à être mangé mais sans qu’on l'osât toucher de peur d’avoir à la disputer”.

En 1813, l'empereur Gialong, voulant amoindrir l’influence siamoise au Cambodge, envoie une armée commandée par le général Lê-Van-Duyêt pour replacer Ang-Chan sur son trône.

Les Siamois, grâce à la trahison du gouverneur de Kompong Svay, Meng, ont occupé, militairement, en 1814, Moulou-Prey, Stung-Por, Tonlé-Ropeou et Stung-Trèng et en 1832, profitant de la fuite au Siam du gouverneur de Pursat, Ka, avec les deux tiers de ses habitants, envahissent cette province et celle de Kampong-Chhnang.

En 1834, les Khmers commandés par Chakrey-Long, mènent une courageuse contre-attaque, chassant les Siamois vers le Nord.

Mais les Siamois, vaincus dans l’Est, poussent vers le Sud, s’emparent de Chaudoc. Là, ils rencontrent les Annamites qui les écrasent à Vinh-Long, les poursuivent vers le Nord et réinstallent Ang-Chan à Oudong.

Les Siamois, formés de 4 corps d’armée sont commandés par une redoutable général, Chau-Khun-Bodyn. A Vinh-Long où le roi khmer s’est réfugié, Bodyn a remporté une éclatante victoire. “Malheureusement, pour Bodyn, dit Leclère, sa flottille fluviale fut détruite en un combat naval qui fut si terrible et si fatal au général siamois qu’il se trouva sans armée et sans aucun moyen de résister aux troupes annamites venant par terre et par eau et qui, d'ailleurs, étaient encore fortes de la discipline et de l’organisation militaire que leur avaient données les officiers français entrés au service de Gialong, entre autre le lieutenant- colonel Laurent Barisy”.

Ouvrons ici une parenthèse: c’est la première fois qu’est notée la présence d’officiers français auprès de l’empereur d’Annam.

L’Obareach Ang-Em et le prince Ang-Duong qui étaient à Phnon-Penh avec les troupes de Bodyn passent au Siam.

Les Annamites ayant vaincu les Siamois, les écartent pour un temps du Cambodge.

Leclère (H.C. p. 418) écrit: “Les Annamites étaient de nouveau les maîtres du Cambodge. Le roi d'Annam y envoya 15 000 hommes et pour montrer sa justice et rassurer les Cambodgiens, il envoya 141 barres d’argent au roi des Khmers pour lui payer les 88 éléphants qu’un de ses généraux avait, sans son ordre. emmenés du Cambodge.”

“C'était ne pas les payer chers, 130 francs chacun, mais c’était avoir l’air de les payer et c’était politique. Puis, imitant en cela les empereurs de Chine et les Grands Mongols, il lui fit présent d'un magnifique costume complet annamite, chapeau compris.

“Le lendemain, le roi du Cambodge parut à Phnom-Penh vêtu de ce costume et beaucoup de gens l’imitèrent par lâcheté, par flatterie et parce qu’ils avaient reçu des costumes complets du roi d’Annam, et aussi par ordre. Cette fois, on voyait bien que les Annamites l’avaient emporté sur les Siamois”.

Les événements qui suivirent démentirent toutefois l’attitude si "généreuse" de l’empereur d’Annam.

14º/ Sous le règne de Ang-Chan, en 1815, le canal de Vinh-Té est creusé
Dix mille hommes, donc cinq mille Cambodgiens (Histoire du Cambodge A. Leclère, p. 412) sont employés pour creuser le canal reliant la rivière de Vinh-Té à l’estuaire de Hatien, canal qui mesure 53 km de longueur, 35 m de largeur et 2,60 m de profondeur. Il met en communication le bras occidental du Mékong avec le golfe du Siam (de Meat Chrouk ou Chaudoc à la rivière Tonhan).

Ce sont les Khmers qui dirigent les travaux et les exécutent. Quatre mille d’entre eux perdent la vie au cours des cinq années que dureront les travaux (1815-1819).

Henry Aurillac, dans son livre “Cochinchine, Annamites Moïs et Cambodgiens” p. 27, rapporte que: “le fameux canal de Vinh-Té qui la relie au grand fleuve, fut créé de toutes pièces par les vaincus, au bénéfice des vainqueurs. Plus de 4000 Cambodgiens trouvèrent la mort dans l'épidémie de fièvres pernicieuses qui s’abattit sur les travailleurs.”

Les gens de Péam, Banteay Meas, Tréang et Prey Krabas, se souviennent toujours de cette malheureuse époque. Ils en conservent un souvenir d’autant plus amer que tout le territoire des provinces agricoles cochinchinoises situées au sud du canal de Hatien est passé en entier sou la coupe des autorités annamites, dès que le canal fut définitivement creusé (H.C., Leclère, p. 413).

Plus tard, quand la France occupera la Cochinchine dont elle fera sa propre colonie, la considérant même comme terre française, non seulement toutes les terres au sud du canal tomberont entre les mains des Français, mais y tomberont encore une bonne partie des terres situées au nord.

La frontière tracée unilatéralement par les Français ne saurait avoir, nous l’avons déjà dit, aucune valeur sur le plan juridique.

Ces tristes souvenir restent toujours gravés dans la mémoire de tous les Khmers comme ils l’étaient au temps d’A. Leclère (H.C., P. 413) “Quand on y demande des travailleurs pour le terrassement des routes que l’autorité française y fait construire, il n’est pas rare, bien que la journée de travail soit payée au moins quatre fois plus, d’entendre les réquisitionnés rappeler cette triste époque, où, pendant toute une saison, il a fallu travailler au canal des Yuon (Annamites).”

“Les Cambodgiens, le travail fait, eurent d’autant plus lieu d’être mécontents que les Annamites s’annexèrent tout le territoire situé au sud du canal qu’ils considéraient comme étant désormais la frontière entre les deux États, et qu’ils établirent des postes de douane sur la rive droite du Mékong, à l’entrée du canal. à Kôh Kdak et à Péam-Chor.”

15º/ Les Annamites préparent l’annexion de tout le Cambodge sous le règne de Ang-Mey (1834-1841)

Les Annamites, nous l’avons vu, furent très "généreux" au moment du rétablissement de Ang-Chan sur le trône. Le roi d’Annam envoya au roi Ang-Chan 15.000 hommes, et 141 barres d’argent pour payer 88 éléphants!

Que deviennent ces 15.000 Annamites? Nous le sauront en étudiant le règne de Ang-Mey que les historiens qualifient de “Protectorat annamite”.

A la mort de Ang-Chan en 1834, les Viêtnamiens écartent par leurs manoeuvres les frères de Ang-Chan (Obéreach Ang-Em, princes Ang-Duong et Ang-Snguon) du trône, sous prétexte qu’ils sont pro-siamois. En vérité, ils les écartent pour avoir la main libre sur le Kampuchéa, car ces princes, en particulier Ang-Duong, ont un sens du patriotisme très élevé.

Ils doivent donc choisir un roi faible qui leur permettent de préparer l’annexion du Cambodge.

Ang-Chan n’a pas de fils.

Sur l’ordre du roi Minh-Mang, successeur de Gialong depuis 1811, Ang-Kham-Mang, alors chef de mission annamite auprès de la Cour du Cambodge (H.C., Leclère, p. 419) obtient du Grand Conseil (hauts dignitaires, ministres, chefs religieux et bakous) l’élection d’une jeune princesse, Ang-Mey, âgée de 20 ans, fille de Ang-Chan, comme reine du Cambodge. Kham Mang réussit donc à écarter les trois princes et la fille aînée de Ang-Chan, Pên, qui était la petite fille de Bên.

Les Annamites donnent à Ang-Mey (1834-1841) le titre de “Bà công chua”, qui veut dire princesse, maîtresse de la vie”.

Comme le dit Samdech Preach Norodom Sihanouk dans “La Monarchie Cambodgienne”, Ang-Mey n'exerce en réalité aucun pouvoir. Toutes ses décisions doivent être soumises à l'agrément préalable du représentant du gouvernement annamite”.

Le représentant du roi d’Annam auprès de Ang-Mey était alors général en chef Ong-Tuong-Kun, chargé par lui, d’annexer tout le Cambodge. Ong-Tuong-Kun est assisté dans sa mission de subversion par trois dignitaires: Truong-Minh-Giang, Pham-Van Dien et Trân-Van-Nang.

Les Annamites veulent tout transformer, Ils “viêtnamisent” le Cambodge.

Ong-Tuong-Kun oblige les mandarins khmers à porter le costume annamite, de changer les titres khmers en titres annamites et “place un résident annamite près de chacun des gouverneurs cambodgiens, afin de surveiller leurs agissements et de diriger leur administration”.

Leclère écrit: “Il voulait davantage et rêvait de décambodgienniser complètement le royaume des Khmers en changeant tous les noms des lieux.”

Phnom-Penh perd son nom et devient “Nam-Vang”. Les 56 provinces khmères sont ramenées à 33 et reçoivent toutes des noms annamites (A. Leclère. p. 422 et 423). Truong-Minh-Giang est nommé “Truong-Quan” ou maréchal de Phnom-Penh. La reine Ang-Mey elle-même reçoit le titre annamite de “My-lam quan chua” (ou reine du phu (province) de My-lâm).

Les 15 000 hommes envoyés à titre de “don et de reconnaissance” au roi Ang-Chan, sont devenus “les cadres de subversion annamites” et prépare l’annexion de tout le territoire khmer.

16º/- Violents soulèvement des Cambodgiens contre les Annamites

Le peuple khmer n’est pas content de l’élection d’Ang-Mey au trône. Les corvées et les exactions de toutes sortes que les Annamites imposent au peuple khmer durant leur “Prétendu Protectorat” excitent les Khmers à se soulever contre les usurpateurs annamites.

En 1835, l’Okhna Chey et le Chu de Kompong-Som refuse d’obéir aux ordres annamites et prennent les armes.

En 1836, le Déchou Réam de Kompong Svay se révolte contre le régime annamite, il est arrêté et mis à mort sur l’ordre de Ong-Tuong-Kun. L’année suivante, le Snang-Ey qui remplace le Déchou Réam fait massacrer le résident annamite et lève une armée. Il est obligé de se replier devant les forces supérieures en nombre des Annamites et se réfugie à Tonlé-Repou. Les Annamites font alors exécuter un grand nombre de Khmers de Kompong-Svay (H.C. Leclère, p. 425).

Le peuple, devenu de plus en plus mécontent, tourne ses yeux vers Battambang où se trouvent réfugiés les deux princes cambodgiens Ang-Em et Ang-Duong.

Le général annamite Ong-Tuong-Kun voyant les risques imminents d’un soulèvement général que crée la présence des deux princes, multiplie les manoeuvres pour les diviser, sinon pour les faire disparaître.

“Il (Ong-Tuong-Kun), dit A. Leclère. résolut de la faire disparaître (famille royal) en jetant la division entre les deux princes frères, jusqu’alors toujours d’accord, puis en profitant des événements qui ne manqueraient pas de naître de cette division pour les détruire s’ils ne se détruisaient pas eux-mêmes.”

Un Annamite, déguisé en khmer, en lui remettent une lettre qui est un piège, fait sortir Ang-Em de Battambang, alors que Ang-Duong, sur l’accusation de son frère qui n’a pas compris les manoeuvres annamites, est arrêté par le roi de Siam (ce dernier reçut une lettre de Ang-Em préparée par Ong-Tuong-Kun disant que Ang-Duong conspirait contre les Siamois). Ang-Em ne revient pas seul à Phnom-Penh. Il amène avec lui sa famille, les enfants de Ang-Duong (ce dernier a trois fils et une fille: Ang-Votey ou Norodom, né en 1834; la princesse Chang-Kolarey, née en 1839; le prince Kêv-Kvea ou Sisowath, né en 1840; preah Ang Mchas; Votha ou Sivotha, né en 1841 (H.C., Leclère, p. 425) et plusieurs mandarins khmers.

A Phnom-Penh, le peuple khmer acclame avec enthousiasme Ang-Em. Mais pendant la nuit, le général annamite "le fit enfermer dans un cage de fer et le matin, le dirigea sur Huê.

Quant aux mandarins, plusieurs sont mis à mort et les autres sont dirigés également sur Huê (1840)".

Quant aux mandarins, plusieurs sont mis à mort et les autres dirigés également sur Huê.

Ce n’est pas tout.

Les Viêtnamiens veulent non seulement changer la religion khmère, mais encore ils démolissent les statues du Bouddha.

Ils privent la nation khmère de ses têtes en envoyant tous les ministres de Ang-Mey à Huê. La reine et ses deux soeurs, Ang-Pou et Ang-Snguon sont elles mêmes envoyés à Saïgon. Ang-Pên, petite fille de Bên, est dirigée sur Long-Ho (Vinh-Long) pour y subire une garde plus étroite car son oncle est l’un des ennemis les plus décidés des Annamites.

Le mécontentement étant devenu général et ayant atteint son plus haut degré, les partisans des deux princes Ang-Em et Ang-Duong “parcoururent secrètement les campagnes, soulevèrent la population et, dit A.Leclère. le massacre des Annamites commença presque partout à la fois, jusque dans Phnom-Penh où les soldats annamites qui s’y réfugiaient en foule, paraissaient être assassinés la nuit par les inconnus”.

En huit jours, ajoute Leclère, “le pays, sauf les grands centres, fut délivré de ses ennemis; on croyait alors les Cambodgiens incapables d’une pareille action d’ensemble.”

Le peuple étant soulevé partout, les haut dignitaires se réunirent en secret: le retour de Ang-Duong du Siam fut décidé.