jeudi 18 octobre 2007

A. Avant l'avènement de Ang Duong

A.
- Avant l’avènement du roi Ang Duong

1º/ Les premières années de l'agression viêtnamienne

De nombreux historiens datent les relations qui s ’établirent entre l'Annam et le Cambodge, de l’arrivée à la cour khmère d’une princesse d'Annam que Chey Chettha ou Chey Chessda II (1618- 1628) avait épousée en 1620 et qu’il avait élevée (Histoire du Cambodge, A. Leclère, p. 33) “à la dignité de reine sous le titre Samdech Phéakavotey preah srey vor Khsatrey ”.

En 1623. le roi d’Annam obtient de Preach Chey Chessda II l’autorisation de fonder des comptoirs dans l’extrême sud de la Cochinchine, en particulier à Saïgon. Leclère note à ce sujet: “le pays où sont aujourd’hui situés les villages de Saïgon et de Cholon ne portait de nom de Prey-Nokor (forêt royale). Son nom, dit Leclère, était “Prey-Kôr ” (forêt des ouatiers) et c’est de ce nom que le mot Saïgon a été tiré. Les deux caractères chinois avec lesquels on l’écrit signifiant en effet “bois et ouatier” (cây gon).

Il est à remarquer de suite que l’autorisation accordée par Preah Chey Chessda au roi de Hué n’est pas un acte juridique valant un traité cédant la Cochinchine aux Annamites. Ce n’est qu’une faveur accordée par un roi à des étrangers. Cet acte relève du droit interne d’un État. Les Annamites cependant profitent de cette faveur de Preah Chey Chessda pour attaquer les Khmers et s’emparait de leurs provinces cochinchinoises.

A. Leclère écrit dans son “Histoire du Cambodge” p.339 “En 1623, une ambassade annamite apportant de riches présents vint demander au roi Chey Chettha, gendre du roi d’Annam, l’autorisation de fonder des établissements annamites dans l’extrême sud du Royaume et, afin de les soutenir, le droit d’établir une douane à Prey-Kôr (Saïgon). Soit que le roi n’osât repousser cette demande, soit que sa reine annamite l’ait engagé à la bien accueillir parce qu’elle venait de son père, il donna les deux autorisations demandées et ce fut de cette manière que les Yuons ou Annamites pénétrèrent au Cambodge et commencèrent à s’emparer du pays que nous appelons actuellement la Cochinchine”.

A. Migot relate, de son côté (“les Khmers ”, p. 269) que “les empiètements annamites s’étendront systématiquement jusqu’à l'éviction presque totale des Cambodgiens” et il l’ajoute “aujourd’hui un de plus importants sujets de revendication de ce pays et le retour à la mère-patrie de cette province qui compte dans sa population plus de trois cent mille Cambodgiens”.

Dix-neuf ans plus tard, sous le règne de Bautum-Réachea II, connut sous le mon de “Ponhea Chaut, Sdach chaul Sasna Chvea ” (1642-1659), le Cambodge a des difficultés avec les Hollandais qui, après avoir conquis les Indes néerlandaises, tentent de s’installer au Cambodge. Ces Hollandais y trouvèrent des Portuguais, leurs ennemis. D’après A. Leclère (“Histoire du Cambodge ” p. 346) “les deux nations, qui d’ailleurs se faisaient une très vive concurrence, se haïssaient mutuellement... Sur l'instigation des Portuguais et des Malais, le roi du Cambodge soupçonnant les Hollandais d’être “espions des Siamois”, donna l’ordre d’assassiner les Hollandais, de piller leur établissement et de s’emparer de leur vaisseau, “Le Noordwyck” et de leur yatch, “Le Ryswyck” (p.348)

L’ayant appris, les Hollandais “résolurent de venger ce massacre”. Ainsi les Viêtnamiens ne sont pas seuls dans leurs entreprises d'agression. Charles Lemire dans son “Exposé chronologique” rapporte qu’en 1643, “Rongemontes, ambassadeur des Hollandais et sa suite furent assassinés. Les Hollandais des vaisseaux furent en partie massacrés. Ils durent se venger les années suivantes en poussant les Annamites à la guerre avec le Cambodge et à conquête de ce pays”.

Tous ces événements favorisent énormément les ambitions des Annamites qui, après avoir “avalé” tout le Champa, veulent absorber non seulement la Cochinchine, mais le Cambodge tout entier. Les richesses du Cambodge, ses terres fertiles, entretiennent les convoitises annamites. Nous en trouverons la confirmation dans la bouche d’un historien viêtnamien, Truong-Vinh-Ky. A. Leclère cite: “Le royaume du Cambodge, dit l’historien Truong-Vinh-Ky, avec ses grands fleuves, ses innombrables arroyos et ses fécondes rizières lui parut une belle proie ”.

Les Annamites, aidés par la veuve de Preah Chey Chessda, lancent alors leurs premières attaques contre le Cambodge. En 1658, une armées de 20 000 hommes, sous les ordres du général Ong-Chieng-Thu, attaque le roi Chan. Le général annamite triomphe et le roi khmer, pris par les Annamites avec sa suite de mandarins, fut enfermé dans une cage de fer et déporté à Quang-Binh sur la frontière de l’Annam-Tonkin.

Les Viêtnamiens pourtant ne sont pas encore maîtres de la situation. Les princes khmers se soulèvent et regroupent l’armée pour chasser le général Ong-Chieng-Thu et ses troupes. D’après Leclère (H.C. p. 352), ce général “fut obligé de battre en retraite et sortit du Cambodge, en 1659, en emportant un immense butin”.

Voilà comment se déroulèrent les premières années de l'agression viêtnamienne. Bien que les Khmers aient pu chasser les envahisseurs du Cambodge, il n’en restât pas moins des éléments indésirables qui s’établirent alors dans les provinces de Baria et de Daung-Nay (Donnaï).

Au moment des querelles de la Cour, vers l’année 1658, les princes se soulevèrent contre le roi (Prince Chan), A. Leclère écrit à ce sujet:

“Les princes furent battus dès les premières rencontres et se réfugièrent près de la vieille reine, veuve de Chey Choettha, annamite d’origine, qui les décida à demander des secours au roi d’Annam. Celui-ci, dont les sujets - vagabonds, déserteurs, bannis ou autres - étaient venus au Cambodge, s’étaient mêlés à la population indigène et établis principalement dans les provinces de Baria et de Daung-nay (Donnai), crut avoir trouvé une bonne occasion de s’emparer du pays ”.

2º/ Les 3.000 Chinois renvoyés par le roi d’Annam au Cambodge.
D’après Leclère, en 1680 (règne de Ang-Saur ou Chey Choettha IV - 1675-1688), un général chinois nommé Duong-ngan-Dich, partisan des Ming, vaincu par l’armée de Khanh-Hi, aborda en Annam. Sur les 200 jonques de son armée, il en resta une cinquantaine avec 3.000 hommes. Il se rendit à Tourane avec son armée, fit sa soumission à l ’Annam et demanda des terres. “ Le roi d’Annam, écrit Leclère, qui ne voulait pas avoir ces 3.000 étrangers près de lui, non cependant sans avoir prévenu le roi Chey Choettha, les envoya au Cambodge, dans les provinces de Baria et de Daung-nay. Mais, mécontent de Baria, le général chinois choisit alors Mytho avec la moitié de son armée et laissa l’autre lot à Baria sous le commandement de son lieutenant Trân ”.

Là encore, ce fut un acte irrégulier. Le roi d’Annam n’avait pas le droit d’autoriser des étrangers à s’installer au Cambodge. Cette installation de 3.000 réfugiés chinois à Baria et à Mytho, ne mettait pas pour autant, en cause la souveraineté du Cambodge sur cette région.

3º/ Rivalités entre Siamois et Annamites pour le partage de leur proie, le Cambodge.
Dès 1660, les Siamois, jaloux de l’avance annamite, tentèrent par tous les moyens d’écarter les Annamites d’un territoire qu’ils considéraient comme leur proie future (Histoire du Cambodge par A. Leclère, p. 352). C’est ainsi qu’à partir de cette date, les Siamois s’intéressèrent également à la Cochinchine.

En 1684, le roi d’Ayuthia qui, dit Leclère, “ne cherchait qu’à rallumer la guerre civile au Cambodge”, envoie une armée par terre et par eau qui fut détruite par le roi Ang-Saur.

Quant aux Annamites, ils envoyèrent une troupe de 5.000 hommes. Cette troupe rencontra à Veal-Hong, l’armée royale commandée par le “Ponhea Phakdey Sangream ”. Cette troupe annamite dit Leclère, “fut battue et obligée de regagner rapidement Chruoy Changva. Le général cambodgien, voyant leur désordre, poursuivit les Annamites, passa le fleuve sur des radeaux, attaqua la citadelle de l’île et s’en empara”.

L’armée ennemie, ajoute Leclère (p. 359), prise de panique, se débanda, entraîna ses chefs, et les généraux annamites eurent beaucoup de peine à regagner la Cochinchine”.

Une fois de plus, la résistance khmère s’était manifestée devant l'agression annamite et avait vaincu.

4º/ La révolte des Chinois de Mytho.
Sur les incitations de Huynh Tân, un des lieutenants chinois, les Chinois de Mytho assassinent Duong-ngau-Dich et veulent ériger le pays en principauté. Les chemins sont barrés et les Cambodgiens arrêtés.

Le roi du Cambodge prend des précautions en élevant des forts à Phnom-Penh, à Bak-au-nam (Banam) et à Gô-bich.

Grâce à ses manoeuvres, l’armée annamite réussit à réduire les Chinois de Mytho, et marche ensuite sur Phnom-Penh mais elle est repoussée par l’armée royale.

5º/ L’occupation des provinces méridionales de Saïgon, Baria et Bienhoa, en 1699.
Samdech Preah Norodom Sihanouk relate, dans la “Monarchie cambodgienne” les circonstances de la prise par les Annamites des provinces khmères à Bienhoa, Baria et Saïgon.

“Sept années passent (environ 1699). Le mandarin Oknha Norin Em conçoit le projet de renverser le roi (Ang-Sor)”.

Les Annamites le soutiennent avec 20.000 hommes de troupe.

Les chroniqueurs disent que le roi Chey Choettha IV, surpris par cette brusque agression, se replia à Pursat. Là il put réunir 40.000 guerriers. Les armées khmères et les annamites se rencontrèrent à Kompong-Chhnang. Les Annamites furent refoulées vers les embouchures de Mékong, où ils purent se maintenir et s’établir définitivement à Bienhoa, Baria et Saïgon."

D'après Leclère, “le traître Norin Em fut mis à mort par les soldats annamites un peu avant que son armée reprît la route de Sud”.

6º/ Les actes de piraterie du Chinois Mac-Cuu sur le littoral du golfe de Siam (Hatien, Phu-Quoc) en 1715.

Mac-Cuu, un Chinois originaire de canton, était fermier des jeux de Phnom-Penh. Devenu riche, il rêvait de faire mieux et plus grand qu’il n’avait fait jusque là. Il alla s'établir à Péam (Hatien) et, écrit Leclère, “réunit autour de lui une bande nombreuse de pirates chinois et annamites, gens de sac et de corde qui ne demandaient qu’à servir sous un chef énergique”.

Mac-Cuu réussit à s’emparer de sept centres importants: d’abord Péam qui reçut le nom d’Hatien, Phu-Quoc que les Cambodgiens nommaient alors Koh-Trâl, Srêluong-Cai qui était Sré-Ambel (dans la province de Kampong-Som) Vuong-Thom (Kampong-Som), anciennement Krâmuon-sa, Cau-Vot (Kampot) et Ca-mau autrefois Tuk-Khmau, dans le sud.

Ces derniers centres furent récupérés plus tard par le roi du Cambodge, il n’y resta au pirate Mac-Cuu que deux centres, Péam et Koh-Trâl. Mac-Cuu les offrit au roi d’Annam qui le nomma gouverneur et général de cette région (1715).

Ces actes de piraterie ne sauraient bien entendu, avoir la moindre valeur juridique.

7º/ Malgré la résistance organisée par les rois et le peuple khmers, les Annamites réussirent à s’accrocher à My-Tho, Vinh-Long et ensuite à Bassac.

Au moment où les Annamites s’avancent dans le sud-est de la Cochinchine, les Siamois opèrent au sud-ouest du royaume (de 1719 à 1722).

5.000 hommes débarquent à Péam (Hatien) et 10 .000 autres assiègent Oudong.

À Hatien, l’avantage fut pour les Khmers qui réussirent à couler plusieurs navires siamois à coup de canon. Mais Oudong est pris et la Cour doit reconnaître la suzeraineté du Siam.

En 1730, un Laotien du village de Preah Saut (Baphom) soulève de nombreux Khmers et exécute un raid en pays occupé par les Annamites et fait grand carnage de l’ennemi.

En 1731, le roi d’Annam voulant laver cet affront, lance, en représailles, une armée considérable contre le Cambodge. Mais les troupes annamites sont écrasées par l’armée de Preah Sotha qui, après s’être retiré à Peam Treng, a ordonné des levées générales et marche en tête contre l’ennemi jusqu’à Phnom-Penh.

Cependant, les Annamites ne se retirèrent pas. Ils reviennent à la charge avec une “armée plus formidable que la première”.

De Santuc, le roi organise la résistance et réussit de nouveau à repousser les envahisseurs hors du) Royaume. Néanmoins ces derniers parvinrent à s’accrocher à Mytho et à Vinh-Long.

Les envahisseurs annamites harcèlent le gouverneur khmer de Bassac (Soc Trang ou Srok Treang), Norin Toc, et envahissent cette province. Toc réussit à les rejeter, après un âpre combat dans l’île de “Ca-hong peam-Misâr”. Mais les Annamites reviennent et s’emparent du Bassac (Soc Trang).

Au cours du règne Thommo Reachea (1738-1747) l’histoire enregistre une lutte terrible entre les Khmers de bassac et les Annamites envahisseurs.

A. Leclère écrit (Histoire du Cambodge, p. 378), “Les annalistes ont, à cette date, enregistré une inondation extraordinaire du Mékong et une lutte qui survint entre les Cambodgiens de la province de Bassac (Soc-Trang) et les Annamites de la même province. Ceux-ci, ayant été battus, se retirèrent au Koh Hong péam-mîsa, une île du Mékong, et s’y organisèrent comme s’ils en étaient souverains”.

8º/ Le roi Thommo-Réachea tente de reprendre Hatien.
Deux ans après la mort de Mac-Cuu, vers 1738, le roi du Cambodge Thommo-Réachea, profite d’une querelle survenue entre les Cambodgiens de Hatien et les gens de Mac-Ton, qui avait succédé à son père (1736), pour tenter de s’emparer lui-même d’Hatien. cette tentative échoue.

9º/ Malgré les protestations khmères, le roi d’Annam nomme en 1754 un vice-roi pour la Basse- Cochinchine (De Binh-Thuan à Vinh-Long) qui réside à Prey-Nokor (Saïgon). Quant à Hatien, il est toujours gouverné par Mac-ton, dit Mac-Thieu Tu par les Annamites et Sutot par les Khmers.

10º/ En 1756, les khmers anéantissent plus de 5000 Mois à Mytho.
Charles Lemire rapporte ainsi l’avènement: “Le gros de l’armée annamite étant au fort de Mytho, elle avait pour auxiliaire 10 000 Moïs venus des montagnes de Binh-Thuân pour se fixer à Go-Vap. Mais à la suite d’un engagement avec les Cambodgiens, 5 000 Moïs périrent et les autres allèrent se fixer près de la montagne de Tay-Ninh”.

11º/ Durant le règne de Ang-Non (1775-1779) la résistance khmère remporte d’éclatantes victoires et réussit à reprendre Vinh-Long et Mytho.

Montant sur le trône à l’âge de 36 ans, Ang-Non ou Ang-Réam Réachea, fait couler des canons, fabriquer des fusils, de la poudre, des boulets, des balles et construire deux citadelles, l’une à Phnom-Penh, l’autre à Mukh Kompul pour résister aux agressions incessantes des Annamites et pour libérer les provinces khmères de Cochinchine.

La révolte des Tay-Son éclate et menace Hué (1775). Le gouverneur annamite de Saigon et le roi Ya-Long (Ngûyen Phuoc Thoan, dit Gia-Long) s’inquiètent. Dans la Basse-Cochinchine un soulèvement a lieu et le gouverneur annamite, Ong Chas Ches, au lieu de marcher, cette fois-ci, contre le roi du Cambodge, lui propose de venir à son secours.

Ang-Non connaissant ses voisins, refuse en disant “qu’il ne voulait avoir aucune relation avec les Annamites qui l’avaient combattu avant son accession au trône”.

Le gouverneur annamite n’insiste pas mais ayant réprimé la rebellion chez lui, il tente de se venger en portant la guerre au Cambodge. à Phnom-Penh, il trouve une forte armée khmère. D’après A. Leclère “vingt combats eurent lieu autour de la citadelle et presque toujours les Annamites furent vaincus. Quand ils eurent perdu beaucoup de monde, ils se trouvèrent dans l’impossibilité de se ravitailler, parce que tout le pays était soulevé autour d’eux et surtout derrière eux”. Ils s’enfuirent alors de la citadelle. “Le roi le poursuit et prend Vinh-Long et Mytho, en 1776 (“Histoire du Cambodge” par A. Leclère, p. 390).

12º/ Le roi de Siam donne une armée composée de Khmers au roi d’Annam pour réprimer le soulèvement des Tay-Son. Le Cambodge est entre les mains du mandarin Bên.

En 1784, le roi Gia Long d'Annam ayant signé avec le roi Chat Tri du Siam un traité d’alliance, celui-ci donne à Gialong une armée composée non de Siamois mais de Khmers.

Charles Lemire dans son “Exposé Chronologique” p. 21, écrit: “Le roi siamois donne à Gialong une armée de 20 000 hommes. Avec cette armée composée de Cambodgiens recrutés à Nam-Vang (c’est-à-dire à Phnom-Penh) et Sadec, Gialong obtint d’abord de grands succès mais, défait par les Tay-Son, il ne restent plus que 2 ou 3.000 traversant le Cambodge”,

Après la défaite, en 1787, Gialong passe au Siam, Huê étant pris par les Tay-Son.

Gialong s’enfuit de Bangkok et se cache à l’île Koh Trâl (Phu-Quoc). Ayant recruté et rassemblé un grand nombre de partisans, il envahit les provinces de Tuk-Khmau (Camau) de Trang Giang (Rach-Gia) et les soumet à sa cause.

Le sort du Cambodge échoit, à ce moment, au yommoreach Bên, l’homme des Siamois “l’infâme Bên”, comme l’appelle J. Moura.

Gialong, ayant relevé son prestige, vint à Oudong demander l’appui du Chauvea Bên pour chasser les Tay-Son de Saïgon d’où ils commandaient toute la Cochinchine méridionale. “L’infâme Bên” accepta de l’aider en formant une armée qu'il joignit à l'armée annamite de Gialong et partit pour Saïgon avec le Chakrey et le Yumreach (H.C. A. Leclère. p. 401).

“Grâce au concours de l’armée khmère, les Tay-Son furent battus et leur chef, l’Ong-Choc Sim fut tué. Gialong partit pour Huê et les Cambodgiens rentrèrent à Oudong Loeu-chey (1792)”.

Gialong fut peu reconnaissant envers le Cambodge de l’aide que lui avaient fournis les 20 000 khmers de l’armée envoyée par Bên pour l’aider à vaincre les Tay-Son.

“En 1806, nous apprend Charles Lemire, Gialong manifesta des tendances à envahir la frontière cambodgienne.

A l’époque où Neak Ang Chan devint roi du Cambodge, le roi de Cochinchine voyant qu’il était jeune, envoya des gens franchir la frontière cambodgienne pour effrayer et opprimer le peuple de ce pays”.

Quant à “l’infâme Bên”. après avoir donné les provinces de Battambang et d’Angkor aux Siamois, il régna à Battambang en tant que “vice roi”, recevant les ordres directement du roi de Siam qui lui a conféré le titre de Hua-muong”. Il mourut “en Siamois et en traître à la nation khmère, en 1811”.

13º/ Les disputes et les intrigues des Siamois et des Annamites dans leurs subversions et leurs guerres pour démembrer le Cambodge, s’accentuent à partir de 1806, année de l’avènement de Ang-Chan.

“Ces deux ennemis, écrit A. Leclère, se faisaient peur l’un à l’autre et lui, la proie, (le Cambodge) demeurait entre eux, tremblant, prêt à être mangé mais sans qu’on l'osât toucher de peur d’avoir à la disputer”.

En 1813, l'empereur Gialong, voulant amoindrir l’influence siamoise au Cambodge, envoie une armée commandée par le général Lê-Van-Duyêt pour replacer Ang-Chan sur son trône.

Les Siamois, grâce à la trahison du gouverneur de Kompong Svay, Meng, ont occupé, militairement, en 1814, Moulou-Prey, Stung-Por, Tonlé-Ropeou et Stung-Trèng et en 1832, profitant de la fuite au Siam du gouverneur de Pursat, Ka, avec les deux tiers de ses habitants, envahissent cette province et celle de Kampong-Chhnang.

En 1834, les Khmers commandés par Chakrey-Long, mènent une courageuse contre-attaque, chassant les Siamois vers le Nord.

Mais les Siamois, vaincus dans l’Est, poussent vers le Sud, s’emparent de Chaudoc. Là, ils rencontrent les Annamites qui les écrasent à Vinh-Long, les poursuivent vers le Nord et réinstallent Ang-Chan à Oudong.

Les Siamois, formés de 4 corps d’armée sont commandés par une redoutable général, Chau-Khun-Bodyn. A Vinh-Long où le roi khmer s’est réfugié, Bodyn a remporté une éclatante victoire. “Malheureusement, pour Bodyn, dit Leclère, sa flottille fluviale fut détruite en un combat naval qui fut si terrible et si fatal au général siamois qu’il se trouva sans armée et sans aucun moyen de résister aux troupes annamites venant par terre et par eau et qui, d'ailleurs, étaient encore fortes de la discipline et de l’organisation militaire que leur avaient données les officiers français entrés au service de Gialong, entre autre le lieutenant- colonel Laurent Barisy”.

Ouvrons ici une parenthèse: c’est la première fois qu’est notée la présence d’officiers français auprès de l’empereur d’Annam.

L’Obareach Ang-Em et le prince Ang-Duong qui étaient à Phnon-Penh avec les troupes de Bodyn passent au Siam.

Les Annamites ayant vaincu les Siamois, les écartent pour un temps du Cambodge.

Leclère (H.C. p. 418) écrit: “Les Annamites étaient de nouveau les maîtres du Cambodge. Le roi d'Annam y envoya 15 000 hommes et pour montrer sa justice et rassurer les Cambodgiens, il envoya 141 barres d’argent au roi des Khmers pour lui payer les 88 éléphants qu’un de ses généraux avait, sans son ordre. emmenés du Cambodge.”

“C'était ne pas les payer chers, 130 francs chacun, mais c’était avoir l’air de les payer et c’était politique. Puis, imitant en cela les empereurs de Chine et les Grands Mongols, il lui fit présent d'un magnifique costume complet annamite, chapeau compris.

“Le lendemain, le roi du Cambodge parut à Phnom-Penh vêtu de ce costume et beaucoup de gens l’imitèrent par lâcheté, par flatterie et parce qu’ils avaient reçu des costumes complets du roi d’Annam, et aussi par ordre. Cette fois, on voyait bien que les Annamites l’avaient emporté sur les Siamois”.

Les événements qui suivirent démentirent toutefois l’attitude si "généreuse" de l’empereur d’Annam.

14º/ Sous le règne de Ang-Chan, en 1815, le canal de Vinh-Té est creusé
Dix mille hommes, donc cinq mille Cambodgiens (Histoire du Cambodge A. Leclère, p. 412) sont employés pour creuser le canal reliant la rivière de Vinh-Té à l’estuaire de Hatien, canal qui mesure 53 km de longueur, 35 m de largeur et 2,60 m de profondeur. Il met en communication le bras occidental du Mékong avec le golfe du Siam (de Meat Chrouk ou Chaudoc à la rivière Tonhan).

Ce sont les Khmers qui dirigent les travaux et les exécutent. Quatre mille d’entre eux perdent la vie au cours des cinq années que dureront les travaux (1815-1819).

Henry Aurillac, dans son livre “Cochinchine, Annamites Moïs et Cambodgiens” p. 27, rapporte que: “le fameux canal de Vinh-Té qui la relie au grand fleuve, fut créé de toutes pièces par les vaincus, au bénéfice des vainqueurs. Plus de 4000 Cambodgiens trouvèrent la mort dans l'épidémie de fièvres pernicieuses qui s’abattit sur les travailleurs.”

Les gens de Péam, Banteay Meas, Tréang et Prey Krabas, se souviennent toujours de cette malheureuse époque. Ils en conservent un souvenir d’autant plus amer que tout le territoire des provinces agricoles cochinchinoises situées au sud du canal de Hatien est passé en entier sou la coupe des autorités annamites, dès que le canal fut définitivement creusé (H.C., Leclère, p. 413).

Plus tard, quand la France occupera la Cochinchine dont elle fera sa propre colonie, la considérant même comme terre française, non seulement toutes les terres au sud du canal tomberont entre les mains des Français, mais y tomberont encore une bonne partie des terres situées au nord.

La frontière tracée unilatéralement par les Français ne saurait avoir, nous l’avons déjà dit, aucune valeur sur le plan juridique.

Ces tristes souvenir restent toujours gravés dans la mémoire de tous les Khmers comme ils l’étaient au temps d’A. Leclère (H.C., P. 413) “Quand on y demande des travailleurs pour le terrassement des routes que l’autorité française y fait construire, il n’est pas rare, bien que la journée de travail soit payée au moins quatre fois plus, d’entendre les réquisitionnés rappeler cette triste époque, où, pendant toute une saison, il a fallu travailler au canal des Yuon (Annamites).”

“Les Cambodgiens, le travail fait, eurent d’autant plus lieu d’être mécontents que les Annamites s’annexèrent tout le territoire situé au sud du canal qu’ils considéraient comme étant désormais la frontière entre les deux États, et qu’ils établirent des postes de douane sur la rive droite du Mékong, à l’entrée du canal. à Kôh Kdak et à Péam-Chor.”

15º/ Les Annamites préparent l’annexion de tout le Cambodge sous le règne de Ang-Mey (1834-1841)

Les Annamites, nous l’avons vu, furent très "généreux" au moment du rétablissement de Ang-Chan sur le trône. Le roi d’Annam envoya au roi Ang-Chan 15.000 hommes, et 141 barres d’argent pour payer 88 éléphants!

Que deviennent ces 15.000 Annamites? Nous le sauront en étudiant le règne de Ang-Mey que les historiens qualifient de “Protectorat annamite”.

A la mort de Ang-Chan en 1834, les Viêtnamiens écartent par leurs manoeuvres les frères de Ang-Chan (Obéreach Ang-Em, princes Ang-Duong et Ang-Snguon) du trône, sous prétexte qu’ils sont pro-siamois. En vérité, ils les écartent pour avoir la main libre sur le Kampuchéa, car ces princes, en particulier Ang-Duong, ont un sens du patriotisme très élevé.

Ils doivent donc choisir un roi faible qui leur permettent de préparer l’annexion du Cambodge.

Ang-Chan n’a pas de fils.

Sur l’ordre du roi Minh-Mang, successeur de Gialong depuis 1811, Ang-Kham-Mang, alors chef de mission annamite auprès de la Cour du Cambodge (H.C., Leclère, p. 419) obtient du Grand Conseil (hauts dignitaires, ministres, chefs religieux et bakous) l’élection d’une jeune princesse, Ang-Mey, âgée de 20 ans, fille de Ang-Chan, comme reine du Cambodge. Kham Mang réussit donc à écarter les trois princes et la fille aînée de Ang-Chan, Pên, qui était la petite fille de Bên.

Les Annamites donnent à Ang-Mey (1834-1841) le titre de “Bà công chua”, qui veut dire princesse, maîtresse de la vie”.

Comme le dit Samdech Preach Norodom Sihanouk dans “La Monarchie Cambodgienne”, Ang-Mey n'exerce en réalité aucun pouvoir. Toutes ses décisions doivent être soumises à l'agrément préalable du représentant du gouvernement annamite”.

Le représentant du roi d’Annam auprès de Ang-Mey était alors général en chef Ong-Tuong-Kun, chargé par lui, d’annexer tout le Cambodge. Ong-Tuong-Kun est assisté dans sa mission de subversion par trois dignitaires: Truong-Minh-Giang, Pham-Van Dien et Trân-Van-Nang.

Les Annamites veulent tout transformer, Ils “viêtnamisent” le Cambodge.

Ong-Tuong-Kun oblige les mandarins khmers à porter le costume annamite, de changer les titres khmers en titres annamites et “place un résident annamite près de chacun des gouverneurs cambodgiens, afin de surveiller leurs agissements et de diriger leur administration”.

Leclère écrit: “Il voulait davantage et rêvait de décambodgienniser complètement le royaume des Khmers en changeant tous les noms des lieux.”

Phnom-Penh perd son nom et devient “Nam-Vang”. Les 56 provinces khmères sont ramenées à 33 et reçoivent toutes des noms annamites (A. Leclère. p. 422 et 423). Truong-Minh-Giang est nommé “Truong-Quan” ou maréchal de Phnom-Penh. La reine Ang-Mey elle-même reçoit le titre annamite de “My-lam quan chua” (ou reine du phu (province) de My-lâm).

Les 15 000 hommes envoyés à titre de “don et de reconnaissance” au roi Ang-Chan, sont devenus “les cadres de subversion annamites” et prépare l’annexion de tout le territoire khmer.

16º/- Violents soulèvement des Cambodgiens contre les Annamites

Le peuple khmer n’est pas content de l’élection d’Ang-Mey au trône. Les corvées et les exactions de toutes sortes que les Annamites imposent au peuple khmer durant leur “Prétendu Protectorat” excitent les Khmers à se soulever contre les usurpateurs annamites.

En 1835, l’Okhna Chey et le Chu de Kompong-Som refuse d’obéir aux ordres annamites et prennent les armes.

En 1836, le Déchou Réam de Kompong Svay se révolte contre le régime annamite, il est arrêté et mis à mort sur l’ordre de Ong-Tuong-Kun. L’année suivante, le Snang-Ey qui remplace le Déchou Réam fait massacrer le résident annamite et lève une armée. Il est obligé de se replier devant les forces supérieures en nombre des Annamites et se réfugie à Tonlé-Repou. Les Annamites font alors exécuter un grand nombre de Khmers de Kompong-Svay (H.C. Leclère, p. 425).

Le peuple, devenu de plus en plus mécontent, tourne ses yeux vers Battambang où se trouvent réfugiés les deux princes cambodgiens Ang-Em et Ang-Duong.

Le général annamite Ong-Tuong-Kun voyant les risques imminents d’un soulèvement général que crée la présence des deux princes, multiplie les manoeuvres pour les diviser, sinon pour les faire disparaître.

“Il (Ong-Tuong-Kun), dit A. Leclère. résolut de la faire disparaître (famille royal) en jetant la division entre les deux princes frères, jusqu’alors toujours d’accord, puis en profitant des événements qui ne manqueraient pas de naître de cette division pour les détruire s’ils ne se détruisaient pas eux-mêmes.”

Un Annamite, déguisé en khmer, en lui remettent une lettre qui est un piège, fait sortir Ang-Em de Battambang, alors que Ang-Duong, sur l’accusation de son frère qui n’a pas compris les manoeuvres annamites, est arrêté par le roi de Siam (ce dernier reçut une lettre de Ang-Em préparée par Ong-Tuong-Kun disant que Ang-Duong conspirait contre les Siamois). Ang-Em ne revient pas seul à Phnom-Penh. Il amène avec lui sa famille, les enfants de Ang-Duong (ce dernier a trois fils et une fille: Ang-Votey ou Norodom, né en 1834; la princesse Chang-Kolarey, née en 1839; le prince Kêv-Kvea ou Sisowath, né en 1840; preah Ang Mchas; Votha ou Sivotha, né en 1841 (H.C., Leclère, p. 425) et plusieurs mandarins khmers.

A Phnom-Penh, le peuple khmer acclame avec enthousiasme Ang-Em. Mais pendant la nuit, le général annamite "le fit enfermer dans un cage de fer et le matin, le dirigea sur Huê.

Quant aux mandarins, plusieurs sont mis à mort et les autres sont dirigés également sur Huê (1840)".

Quant aux mandarins, plusieurs sont mis à mort et les autres dirigés également sur Huê.

Ce n’est pas tout.

Les Viêtnamiens veulent non seulement changer la religion khmère, mais encore ils démolissent les statues du Bouddha.

Ils privent la nation khmère de ses têtes en envoyant tous les ministres de Ang-Mey à Huê. La reine et ses deux soeurs, Ang-Pou et Ang-Snguon sont elles mêmes envoyés à Saïgon. Ang-Pên, petite fille de Bên, est dirigée sur Long-Ho (Vinh-Long) pour y subire une garde plus étroite car son oncle est l’un des ennemis les plus décidés des Annamites.

Le mécontentement étant devenu général et ayant atteint son plus haut degré, les partisans des deux princes Ang-Em et Ang-Duong “parcoururent secrètement les campagnes, soulevèrent la population et, dit A.Leclère. le massacre des Annamites commença presque partout à la fois, jusque dans Phnom-Penh où les soldats annamites qui s’y réfugiaient en foule, paraissaient être assassinés la nuit par les inconnus”.

En huit jours, ajoute Leclère, “le pays, sauf les grands centres, fut délivré de ses ennemis; on croyait alors les Cambodgiens incapables d’une pareille action d’ensemble.”

Le peuple étant soulevé partout, les haut dignitaires se réunirent en secret: le retour de Ang-Duong du Siam fut décidé.

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