jeudi 18 octobre 2007

Lettre du 20 janvier 1948

LETTRE DU 20 JANVIER 1948
DE SA MAJESTÉ LE ROI DU CAMBODGE

Monsieur le Haut-Commissaire,
J’ai l’honneur de vous adresser cette missive pour vous exprimer un désir qui me tient au coeur et donc je réclame de votre obligeance la réalisation.
Je croirais manquer mon droit de protection que je dois à mes sujets si je restais indifférent aux évènements qui se déroulent actuellement dans les États voisins et notamment la Cochinchine, évènements qui intéressent un grand nombre de Cambodgiens vivant depuis fort longtemps dans cette partie de l’Indochine et qui pourraient avoir une répercussion inévitable sur leur destinée future.
Ignorant jusqu’à ce jour quelle pourra être la conséquence de la politique suivie dans cette contrée avoisinante, j’estime que je dois, dès à présent, sinon faire des réserves sur l’évolution politique des provinces indochinoises, où l’élément khmer domine, du moins, désirer être tenu au courant de ce qui peut leur advenir.
Les minorités khmères en Cochinchine se sont, à juste titre, groupées pour défendre leurs intérêts, au sein même du gouvernement provisoire de la Cochinchine qui, d’ailleurs, ne semble pas s’opposer à la légitimité de leurs desiderata.
Je n’ai pas cru en pareille occurrence, devoir intervenir, laissant à la France, le soin de poursuivre à leur égard, son rôle tutélaire, et craignant avant tout, par mon intervention, d’aggraver, au milieu de ce conflit meurtrier, leur triste sort; mais je ne tiens pas à ce que mon abstention soit interprétée comme un abandon de ma part. J’ai eu l’occasion, au moment des événements tragiques qui se sont déroulés au Cambodge, durant le mois de mars 1945, et alors que le prestige de la France subissait un temps d’arrêt, de proclamer que je tenais, dans l'éventualité où la grande nation amie aurait été obligée de s'éclipser entièrement, à revendiquer les droits sacrés du Royaume khmer sur ces provinces cochinchinoises, où des minorités khmères n’avaient jamais cessé d’avoir droit de cité.
Si dans différents textes réglementaires, tant en matière pénale que civile, et notamment dans un des articles de l'ordonnance du 5 juin 1934, sur la nationalité khmère, article reproduit dans le code civil cambodgien au chapitre de la nationalité, mes vénérés prédécesseurs ont permis à la France d’avoir sur ces groupements qui n’ont jamais cessé d’appartenir à la grande famille cambodgienne, un droit presque absolu, ils l’ont fait dans leur amour profond pour la grande nation protectrice et dans la certitude qu’elle n’allait pas abuser d’une telle prérogative. Ils savaient que leurs sujets, quoique éloignés du sol natal, ne pouvaient être qu’heureux d’y vivre sous la tutelle et l’égide françaises.
Mais si ces mêmes sujets étaient appelés, dans l’avenir, à subir, par suite des événements, une destinée tout autre, je tiendrais, dans une pareille conjoncture, à être tenu au courant du développement des règlements à intervenir.
Je prie respectueusement, Monsieur le Haut-Commissaire de la République de bien vouloir considérer cette missive non comme un appel à la moindre indiscipline, mais comme un désir ardent et profond de sauvegarder les intérêts de mon peuple tout entier .”

Cette lettre appelle les remarques ci-après :
a) S. M. Norodom Sihanouk précise bien que , si pour le moment, elle ne peut pas faire des réserves au sujet des provinces cochinchinoises où “l’élément khmer domine”, elle devait être mise au courant des négociations que la France - qui n’a d’ailleurs pas le droit de disposer des terres des autres pays - était en train d’entamer avec le Viêtnam.
b) En tant que souverain de tous les Cambodgiens, S.M. Norodom Sihanouk tient à revendiquer les droits sacrés du Royaume khmer sur ces provinces cochinchinoises où les Khmers, ressortissants légitimes de ce territoire, “n’avaient jamais cessé d’avoir droit de cité”.
c) S.M. Norodom Sihanouk considère la France comme pays tuteur de tout le Cambodge y compris la Cochinchine, comme telle la France doit protéger les Khmers et leurs intérêts en Cochinchine. La France ne doit pas abuser de ces prérogatives.
d) Enfin, il est à noter qu'à cette époque le pouvoir des autorités françaises sur le Cambodge y compris son souverain était pratiquement autoritaire et absolu, ce qui explique les termes très modérés de la lettre de S.M. Norodom Sihanouk.
La France, passant outre aux préoccupations cambodgiennes, n’en signa pas moins avec le roi Bao-Dai les accords de la baie d’Along de 1948, reconnaissant le province de l’union des trois Ky (Tonkin, Annam, Cochinchine).
S.M. Norodom Sihanouk proteste contre ces accords entachés de nullité dans une lettre du 18 juin 1948.
3/ S.M. Norodom Sihanouk y proteste contre les accords de la Baie d’Along et envoie une délégation suivre, d’une part les débats du Parlements français sur la loi relative à la modification du statut de la Cochinchine et à son rattachement au Viêtnam, formuler, d’autre part des protestations contre l’intégration du territoire cambodgien de Cochinchine au Viêtnam.
4/ Au moment de la conclusion du traité franco-khmer du 8 novembre 1949, le Roi du Cambodge déclare expressément que ce traité ne constitue en rien, de la part du Cambodge, un renonciation à ses droits et intérêts sur la Cochinchine.
5/ Réserves et protestations devant le Haut-Coseil de l’Union française
Devant le Haut-Conseil de l’Union française (session des 29 et 30 novembre 1951), le représentant du Cambodge, M. Son-Sann intervient:
a) Il rappelle devant cette assemblée la question restée en suspens et qui intéresse au premier chef le Cambodge, celles des territoires Cambodgiennes de Cochinchine. M. Son-Sann insiste sur les réserves expresses et solennelles faites par S.M. le Roi du Cambodge et son gouvernement portant sur les doits légitimes du Cambodge sur le Kampuchéa-Krom.
b) Il insiste la nécessité d’un tracé, d’accord-parties, des frontières communes des droits khmers sur la Cochinchine et le statut des Cambodgiens du Kampuchéa-Krom. Les frontières actuelles ont été déterminées arbitrairement et unilatéralement par la France, puissance coloniale de l’époque.
c) Il rappelle enfin que la France s’est engagée, aussi bien par le traité franco-khmer que par la motion du ministre Deferre, votée par l’Assemblée nationale française en 1949, à offrir sa médiation pour règler ces questions à la satisfaction du Cambodge.
6/ A la conférence de Genève en 1954, les protestations khmères sont formulées à propos des paragraphes 7, 11 et 12 de l’acte final stipulant le respect de l’intégrité du Viêtnam.
La délégation khmère demande expressément à la conférence de considérer que la clause ci-dessus n'implique pas l’abandon des droits et intérêts légitimes que le Cambodge pourrait faire valoir à l’égard de certaines provinces du Sud-Viêtnam, et, au sujet desquels le Cambodge a formulé d’expresses réserves notamment au moment de la signature du traité franco-khmer du 8 novembre 1949 et lors du vote de la loi française rattachant la Cochinchine au Viêtnam.
Ainsi, depuis l’invasion de la Cochinchine par les Annamites et jusqu’à l’occupation française et de là jusqu’aux accords de Genève mettant fin à cette occupation, le Cambodge n’a cessé de protester contre la violation de la souveraineté cambodgienne sur le territoire en question.
Aucun acte, ni aucun fait n’est venu prouver la renonciation du Cambodge à ses droits. Ces derniers existent toujours quelques soient les modifications apportées au statut de la Cochinchine par les puissances étrangères.
La souveraineté du Cambodge sur s
es terres de Cochinchine reste pleine et entière (cf. §. 391, “Répertoire des questions générales de droit international posées devant la Société des Nations”).


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La France, en dépit des protestations cambodgiennes, a, par une loi interne, cédé unilatéralement au Viêtnam les terres khmères de Cochinchine enlevées au Cambodge par la force des armes, pour être érigées en colonie.
Cette loi est nulle tant à l’égard du Cambodge qu’à l’égard de l’État de Viêtnam: La France , pays tiers, ne saurait disposer des territoires d’autres pays. La loi française, en ce domaine, n’est pas opposable au Cambodge qui conserve toujours sa souveraineté sur les territoires khmères de Cochinchine.
La loi française en question est un acte qui, tout en étant nul, entraîne la violation de l’intégrité territoriale du Cambodge. Comme tel il est condamné par le droit international.
À la XIIè session de l'Assemblé générale de l’O.N.U. en 1957, un mémoire intitulé “Mémoire du Cambodge sur ses terres du Sud Viêtnam” a été remis aux délégués des pays membres.
Enfin S.A.R. le prince Norodom Sihanouk, Chef de l'État au Cambodge, souleva cette question au cours des XIIè, XVè et XVIè sessions de l’Assemblée générale des Nations unies.
Le 22 septembre 1961 (XVIè session), il déclarait:
“La Cochinchine, actuellement Sud-Viêtnam, était une terre cambodgienne en partie occupée par l’Annam lors de l’arrivée des Français au milieu de XIXè siècle. La France annexa alors purement et simplement ce territoire, y compris les provinces en litige entre le Cambodge et l’Annam et en fit une colonie, puis un département français avec députés élus siégeant au Parlement français.
“En 1946-1947, la France, ayant à lutter contre l’insurrection viêtnamienne particulièrement forte dans le nord, créa un gouvernement provisoire du Sud- Viêtnam puis, en 1948-1949 fit revenir Bao-Dai, ex-empereur qui avait abdiqué en 1945, le proclama Chef de l’État et lui transféra la Cochinchine, terre française, avec l’assentiment du Parlement français. Le roi du Cambodge protesta officiellement contre ce transfert de territoire, sur lesquels, juridiquement, notre pays conservait ses droits, mais en vain”.

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