jeudi 18 octobre 2007

II. Tchen-La et Fou-Nan

II.- LA PÉRIODE D’UNIFICATION DU TCHEN-LA ET DU FOU-NAN

Bien que le groupe môn-khmer ait habité toute la péninsule indochinoise quelques vingt siècles avant J.-C., il ressort de l’histoire et de l’archéologie, que les deux États qui formeront le Cambodge - le Tchen-La et le Fou-Nan- prirent naissance dès le premier siècle de l’ère chrétienne.

Du Iè au VIè siècle, il y eut deux États frères: le Tchen-La s’étendant au Nord sur toute la partie montagneuse de la péninsule, et le Fou-Nan au sud, sur toute l’étendu du delta du Mékong. Les habitants de ces deux États, bien que différents du point de vue ethnique, ceux du Tchen-La appartenant au groupe “Kambuja” de souche mongolique, ceux du Fou-Nan étant issus de groupe “môn-khmer” avec une empreinte indienne plus marquée, subirent les uns et les autres une même influence hindoue et acquirent ainsi une même mentalité, un même langage, les mêmes coutumes et pratiquèrent les mêmes religions.

Du Ie au VIè siècle, le brahmanisme dominait tout le territoire qui formera le Cambodge. Cependant on y constate également la présence du “bouddhisme Mahayana” (ou du grand véhicule). Ouvrons ici une parenthèse en citant des passages du livre de M. Dauphin Meunier (p.17):

“La religion de la cour et des fonctionnaires, pour la plupart Indiens de souche ou indianisés, était le brahmanisme... Le bouddhisme du grand véhicule, associé à un animisme immémorial, était la religion populaire... ”

Possédant par conséquent des caractères communs, les habitants des deux États pouvaient être rassemblés en un seul. Cette unification fut les œuvres des grands rois pré-angkoriens et angkoriens, parmi lesquels domineront deux figures: Bhavavarman et Jayavarman II.


1°/- Bhavavarman réalise l’unification du Tchen-La et du Fou-Nan vers l’an 550 A.D.

Des deux États le Fou-Nan et le Tchen-La, le premier était le plus puissant. Ainsi le Tchen-La resta pendant longtemps vassal du Fou-Nan.

C’est au milieu du VIè siècle, qu’un prince de la dynastie du Fou-Nan, le prince Bhavavarman, petit-fils du roi Rudra-Varman, épousa l’une des princesses de la famille royale du Tchen-La (dynastie du Cruta-Varman). Cette union permit à Bhavavarman, qui monta sur le trône du Tchen-La en 550, de travailler pour réaliser l’unité des deux États.

Des troubles ayant éclaté dans le Fou-Nan, des usurpateurs du trône de Rudra-Varman s’emparèrent de Vyâdhapura, la capitale. Bhavavarman, devenu roi du Tchen-La, entreprit énergiquement la conquête de l’héritage de son grand-père et revendiqua pour lui la royauté du Fou-Nan.

Bhavavarman réussit durant son règne (550-600) à conquérir tout le Fou-Nan.

Cette conquête, d’après G. Coedès, serait le premier “épisode en Indochine de la poussée vers le sud, provoquée par l’attraction des deltas et de la mer qui explique d’ailleurs la répartition actuelle des groupes ethniques.”

Cette conquête du Fou-Nan par le Tchen-La réalise la fusion des deux États. De cette fusion est né le pays khmer et Bhavavarman est ainsi le véritable fondateur du royaume du Cambodge.

Tous les archéologues et historiens sont unanimes pour affirmer la réalisation de cette unité.
Pour B. P. Groslier, elle est bien de Bhavavarman (“Angkor, hommes et pierres”, p. 17).

A. Migot la commente ainsi (“Les Khmers ”, p. 38).
“De cette conquête du Fou-Nan par le Tchen-La et de la fusion des deux pays est né le pays khmer et l’on peut considérer Bhavavarman comme son véritable fondateur. Longtemps encore persisteront toutefois, dans le royaume unifié, des traces de la dualité originelle, dualité de culture et de tradition, dualité ethnique peut-être aussi. Si la population du Tchen-La se rattachait comme celle du Fou-Nan à la grande famille môn-khmère, elle n'en possédait pas moins quelques caractères particuliers dû à l’apport d’éléments mongoloïdes venus du Yunnan et de la haute-Birmanie.”

Les successeurs de Bhavavarman continuèrent l'œuvre d’unification des deux États.

Moura, dans son livre (écrit à la fin du siècle dernier) “Voyage dans le Royaume du Cambodge et du Laos” prend 627 comme date du départ de l’unification du Fou-Nan et du Tchen-La, celle-ci serait l'œuvre de Içana-Varman Ier (615-635), fils de Chitraséna, ce dernier ayant succédé à son frère Bhavavarman Ier sous le nom de Mahendra-Varman.

Moura dit notamment qu’en 627,
“le roi du Chon-Lap (Tchen- La) réunit tout le Fou-Nan sous son autorité. À partir de ce moment, les historiographes chinois ne désignent plus le Fou-Nan que sous le nom de Chon-Lap (Tchen-La, Cambodge). Les chroniqueurs annamites aussi.”

J. Bouchot, lors d’une conférence faite à Saigon, le 9 mai 1926, “Saigon sous la domination cambodgienne” (Bulletin de la Société des études indochinoises, 1926) déclarait également que
“c’est vers la première moitié du VIIe siècle que le Fou-Nan doit d'être passé sous la domination des rois khmers”.

Bouchot citait le “Sin T’ang Chou ou nouvelle histoire des T’ang: 618-906” (K,222, P.2V) où il est écrit que “le roi Ksatrya Içana, au début de la période Tcheng-Kouan (627-649), soumit le Fou-Nan et en posséda le territoire.”

Quoi qu’il en soit, B.P. Groslier en avançant à 550 le début de l’unification, se fonde sur des découvertes et des travaux postérieurs à Moura et à J. Bouchot.

L’unification entre le Tchen-La et le Fou-Nan, commencée par le roi Bhavavarman et poursuivie par le roi Içana-Varman, était encore fragile. L’unité du Cambodge dura quelques temps pour s’effondrer au VIIIè siècle.

L’éclatement de cette unité fut la conséquence des troubles créés par les envahisseurs étrangers. Deux principautés s’érigent alors de nouveau: au Nord, le Cambodge de terre (Bas et Moyen Laos); au sud, le Cambodge de l’eau (région des fleuves et des lacs couvrant le bassin du Mékong, des chutes de Khône à la mer) à l’emplacement du Fou-Nan.

D’après les historiens, ce furent les “pirates javanais” qui, profitant des rivalités des dynasties du Tchen-La et du Fou-Nan, ravagèrent le Cambodge au cours des années 774 et 787. Ces pirates réussirent à imposer aux deux rois frères du Tchen-La et du Fou-Nan leur suzeraineté.

Cette suzeraineté javanaise ne dura pas.

Un nouveau grand roi, Jayavarman II, qui fera la grandeur du Kampuchéa, apparaît sur la scène. Chassant les Javanais, il réalise, en 802, l’union complète des deux principautés: “Cambodge de terre et Cambodge de l’eau”.

2°/- L'unité du Royaume du Cambodge est restaurée et consolidée par le grand monarque khmer Jayavarman II.

Citons André Migot (“les Khmers”, p, 69),
“À l’aube du IXè siècle, un grand roi apparaît: Jayavarman II. Il serait le libérateur du Tchen-La, son unificateur, le fondateur de la dynastie des rois khmers.”

Jayavarman II était un prince khmer que les Malais de Java capturèrent durant leurs incursions au Cambodge pendant la fin du VIIIè siècle.

Une inscription du Xè siècle, citée par A. Migot, évoque l’apparition de Jayavarman II:
“pour la prospérité du peuple, dans cette race parfaitement pure de rois, grand lotus qui n’avait plus de tige, il surgit comme une floraison nouvelle”.

Dauphin Meunier, résumant les auteurs autorisés, situe la date de son avènement (“Histoire du Cambodge”, p.27):
“Juste au moment où Charlemagne restaurait l’empire romain d’Occident, le grand roi Jayavarman II (802-850) affranchit le Cambodge de la suzeraineté de Java et posa les bases de l’empire d’Angkor”
“Rentré par surprise au Cambodge, vers l’an 800, Jayavarman eut d’abord à s’imposer. Il s’installa fortement dans la région de Thbaung Khmoum et, de là, par intrigue ou par les armes, soumit les unes après les autres, les provinces redevenues indépendantes du Cambodge de l’eau... ”


Grâce à Jayavarman II, le royaume du Cambodge ayant retrouvé son unité conserve sa stabilité durant plusieurs siècles.

Jayavarman II est le fondateur de la grande dynastie angkorienne.

À partir de son règne, le Cambodge connut une période d’expansion. Celle-ci fera l’objet de la troisième partie de notre étude sur la formation du royaume du Cambodge.

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