jeudi 18 octobre 2007

B. Occupation irrégulière de la Cochinchine par le France

B.
Ces remarques préliminaires faites, une analyse des événements confirme l’occupation irrégulière de la Cochinchine par la France.

Certains ouvrages français sur le Cambodge font état de la première lettre de S.M. Ang Duong adressée, en 1853, à l’empereur des Français, accompagnée de présents, mais ils omettent d’analyser et même de mentionner la seconde lettre, la plus importante, qui concerne le territoire de Cochinchine. De plus les intentions de S.M. Ang-Duong sont déformées comme nous venons de le constater dans le texte de G. Maspero.

S. M. Ang-Duong voulut “une alliance” avec la France, alliance qui permit à son pays de se débarrasser d’abord de l’emprise des deux voisins, de recouvrir ensuite les provinces arrachées par la force.

A. Leclère (Histoire du Cambodge p. 443) l’a bien saisi: “Il (Ang Duong ) songea à demander non le protectorat comme nous l’entendons aujourd’hui, mais la protection ... ”

Il s’agissait d’une demande “d’aide et d’assistance” en vue de défendre l’intégrité du royaume.

Pour Leclère, cette protection était sollicitée “sous la condition que la France défendrait le Royaume et empêcherait son absorption par les deux voisins ou une autre nation européenne.”

Leclère précise encore que S. M. Ang Duong pense à la France parce que cette dernière est réputée être "une nation généreuse, n’ayant pas de possessions en Extrême-Orient ” . Le monarque khmer croit que la France n’est pas un pays agresseur et n’a pas de visées annexionnistes.

En se plaçant sous la protection de la France, Ang Duong est persuadé que cette dernière défendra le Cambodge et l'aidera à récupérer les provinces du Kampuchea Krom.

En novembre 1853 “après avoir bien réfléchi à ce qu’il faisait, le roi Ang Duong envoya secrètement, à Singapour, deux descendants portugais, catholiques de religion, les Chau Ponhéa Koy et Pên “porter au consul de France, M. de Montigny, "une lettre écrite en français par Monseigneur Miche, évêque au Cambodge, sous la dictée du Roi et adressée à l’empereur Napoléon III.”

Cette première lettre, accompagnée de plusieurs caisses de présents, est adressée à l’empereur Napoléon III pour “lui témoigner de son amitié et lui présenter ses humbles hommages”.

Napoléon III, à la suite de cette lettre, charge de Montigny de négocier avec le roi khmer.

A l’instigation du roi de Siam ces négociations n’ont pas lieu.

La lettre de S. M. Ang Duong reste sans effet.

Les Français regrettèrent vivement l’échec de la mission de Montigny qui, si elle avait réussi, leur aurait facilité la conquête de la Cochinchine.

Leclère note (H.C., p. 444), “si à cette époque, nous avions eu pied au Cambodge et avions agi d’accord avec le roi khmer, il est certain que la Cochinchine entière eût été conquise en une seule campagne.”

La France reconnaît donc à cette époque “les droits” du Cambodge sur ses provinces du Kampuchéa Krom, celà ne l’empêcha point de s’emparer par la force de la Cochinchine et d’en faire une colonie et même un département français.

Ne recevant aucun secours de la France, Ang Duong organise seul la résistance et appuie avec force tout soulèvement contre les Annamites.

D’après A. Leclère (H.C., p. 455), “il fit construire des forts sur la frontière du sud. Il a changé l’Oknha Kêp de lever une armée en vue de combattre les Annamites et les Cham à Chaudoc.

Les Chams s’unirent aux troupes annamites envoyées contre les Cambodgiens et résistèrent de leur mieux, mais ils ne purent empêcher l’armée khmère de s’avancer dans le pays assez loin de la frontière.

Les Annamites n’étaient plus en état de se défendre contre une armée cambodgienne.”

S.M. Ang-Duong s’inquiète par ailleurs des anciens accords conclus sous le règne de Gia-Long entre la France et la cour d’Annam.

En 1787, le roi d’Annam, en échange de “quatre frégates de mille six cent cinquante hommes” que la France s’engageait à lui envoyer, accordait à cette dernière "la souveraineté sur Tourane et l’île de Poulo-Condore“ bien que celle-ci fut depuis des siècles terre cambodgiennes (“Les Khmer”. A. Mogot, p. 296).

Dans une seconde lettre adressée à l’empereur Napoléon II et scellée à Oudong le 13è jour de la lune décroissante, l’an 1215 de la petite ère khmère (1856), S.M. Ang-Duong fait connaître clairement à la France les droits territoriaux du Cambodge sur la Basse-Cochinchine et lui demande de n’accueillir du souverain d’Annam aucune offre territoriale concernant ce territoire khmer.

Il s’agit donc d’une “notification” au sens juridique du mot.

Napoléon III ne répondit pas à S.M. Ang-Duong.

Profitant du supplice d’un évêque et pour justifier “sa vengeance" la France s’empare par la force de la Basse-Cochinchine.”

"Les Français s'intéressèrent pour leur propre compte à la Cochinchine." (La "Monarchie Cambodgienne").

Les troupes de l'amiral Rignault de Genouilly bombardent Tourane le 1er septembre 1858, se dirigent ensuite vers le cap Saint-Jacques, remontent le fleuve et s'emparent de Saïgon le 17 février 1859.

S.M. Ang Duong est à la fois surpris et inquiet de la tournure que prennent les événements et de leurs incidences sur le sort de son pays.

“Il aurait, écrit A. Leclère, voulu connaître les intentions des Français et savoir s’ils comptaient simplement venger les injures que les Annamites leurs avaient faites, retenir un point de la côte seulement, ou conquérir la Basse-Cochinchine.”

Se doutant des intentions de la France, et son doute sera bientôt justifié puisque les Français feront de la Cochinchine leur propre colonie et même “leur département”, Ang Duong décide d’attaquer à fond les Annamites et de pénétrer en Cochinchine.

La prise de Saïgon, tout en l’inquiétant, l’encourage à prendre l’offensive contre les Annamites. L’occasion est bonne de profiter de leur faiblesse pour reprendre les provinces perdues.

“La prise de Saïgon par les Français l’encouragea et quand il vit que nos troupes n’en restaient pas là, qu'il n'était pas question de traiter, que nous étions retournés à Tourane pour y prendre un fort, mais que nous étions revenus et que nos troupes écrasaient partout ses vieux ennemis, il résolut d'attaquer les Annamites de Chaudoc et d'entrer en Cochinchine, d’être notre auxiliaire sans entente préalable.” (H.C., A. Leclère, p. 447).

Ainsi, Ang Duong craignant que les Français conquièrent toute la Cochinhine, décide de s’enfoncer sur ce territoire afin de récupérer une partie, sinon la totalité du Kampuchéa Krom, la France n’occupant jusqu’ici que les provinces de l’est-cochinchinois.

Sur les ordres de S.M. Ang-Duong, l’Oknha Kêp “Sdach tranh de la terre ou dey de tréang ” avec l’armée cambodgienne attaque les Annamites à Chaudoc.

Malheureusement, Ang-Duong tombe malade et meurt en novembre 1860 (1782 de la grande ère, 1222 de la petite ère, dans le mois de Kadoek, le cinquième jour de la lune croissante).

La mort de S.M. Ang-Duong “arrêta le mouvement des troupes cambodgiennes dans l'arrondissement de Chaudoc, et l’Okhna Kêp crut devoir les ramener au Cambodge” (H.C., Leclère).

Ang-Duong disparu, la lutte armée cède la place aux démarches et aux lettres de protestation contre une occupation étrangère qui, pour avoir changé d’aspect, n’en est pas moins imposée et illégitime.

Avant d’aborder le sens, le contenu, la forme et l’étendue de ces protestations, rappelons les étapes de la conquête de la Cochinchine par la France et l’instauration du protectorat français sur le Cambodge.

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