jeudi 18 octobre 2007

I. Les Khmers Krom, origine, organisation administrative

I .
LES KHMER KROM, ORIGINE, ORGANISATION ADMINISTRATIVE. PRINCIPAUX EVENEMENTS LES CONCERNANT
(du 1er siècle à 1849).

"Les peuples, écrit Adhémard Leclère ("Histoire du Cambodge" p. 9 et 10), qui ont concouru à former la nation khmère, habitaient les territoires que nous nommons aujourd'hui la Cochinchine".

Si l'on croit à la légende relative au Srok de Bassac, rapportée par le Vénérable Thach Pang, un moine khmer krom[1], dans son "Histoire de la Cochinchine" (manuscrits en khmer terminés le 10 octobre 1944, écrits avec la collaboration de la Commission des mœurs et coutumes du Cambodge de ce même Institut, et de l'Association du lycée du khèt Khleang, manuscrits sur lesquels M. Chhum Chhiet semble s'être appuyé pour rédiger les articles publiés dans "La Dépêche du Cambodge", nº1565, 1572 et suivants parus les 18 et 28 décembre 1962, 1er février 1963), l'origine des Khmer krom remonterait à une époque très reculée, soit, comme dit Dauphin Meunier, "quelques vingt siècles avant J.-C." puisque la légende se rapporte au pays de Kok Thlok.

Nous extrairons de ces manuscrits ce qui intéresse l'origine de la Cochinchine, l'organisation administrative de certaines provinces, l'explication de la toponymie de certains lieux, les activités ou les travaux des gouverneurs khmers de la Cochinchine.

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A.
Origine du Srok de Bassac


L'histoire se passe à l'époque du roi de Kokthlok.

Dans le sud du pays, il n'y avait alors que quelques îles perdues dans la mer.

Un prince, fils du roi de Kokthlok et marié à une princesse laotienne de Champasak, à la suite d'une intrigue dirigée par la seconde reine du roi de Champasak, est exilé avec sa femme, cinq cents hommes et femmes indésirables et cinq cents soldats; un bateau et deux radeaux, dit "Pong Peay", les descendent sur les eaux du Mékong vers le sud.

Arrivés près d'une île occupée par des pêcheurs, les deux "Pong Peay" et le "Sampouv" (bateau) dans lequel se tiennent le prince de Kokthlok et la princesse laotienne se trouvent séparés à la suite d'une tempête.

Les radeaux touchent chacun une île différente et éloignée de l'île des pêcheurs où aborde le sampouv du prince. Après maintes péripéties et avec l'aide des pêcheurs, celui-ci retrouve ses soldats et ses autres hommes. Les trois îles sont mises en valeur, on y cultive le riz, le sésame, le haricot, grâce aux semences que le roi de Champasak avait fait charger sur les radeaux.

Guidé par les pêcheurs, le prince se rendit avec sa femme au royaume de Kokthlok. Son père, roi de Kokthlok, fut mis au courant non seulement de l'exil de son fils, mais également de l'existence des îles du sud qui n'étaient pas encore habitées. Il aida son fils à y fonder une capitale où il envoya ses sujets afin qu'ils s'y installent. Sur les conseils de "Pream Parohet" (1) le roi donna un nom à chacune des trois îles.

L'île où vivaient le prince de Kokthlok et la princesse de Champasak devint "l'île de Pasak ou srok Bassak".

La deuxième habitée par les cinq cents soldats de Champasak s'appela "Pol Leav" (soldats lao) devenu pour les Viêtnamiens "Bac-Lieu" (Malleret rapporte à ce sujet une autre légende citée plus loin, dans l'archéologie du Bas-Cambodge).

Enfin la troisième île, habitée par les "indésirables" reçut le nom de "Krour Leav" (indésirables lao) actuellement village de Prek Koy (Khèt Khleang).

L'île de Pasak occupait le centre de l'actuelle province de Soctrang. Cette légende se rapportant à une époque (2è millénaire avant J.-C.) où la Cochinchine n'était qu'un golfe, est vraisemblable.

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B.
Origine de divers lieux et monastères ayant rapport avec la naissance du Bassac


1º/- Vatt Prasat Kong

Sur l'île de "Pasak" ou "Bassac", le prince fit construire un temple dont il resterait actuellement quelques briques sur une petite colline de Srok Khleang. Il s'élève maintenant en cet endroit un watt dit "Vatt Prasat Kong" (khum Cheam Daung, khèt Khleang).

Le prince ordonna également de construire un monastère au nord de ce "Prasat". A cet endroit un monastère existe encore sous le nom de "Vatt Luong Bassac" (le watt du roi de Bassac, phoum Bay Chhauv, khèt Khleang, Bai-xau).

2º/- Vatt Buon Preah Pheak ou Vatt Preay Neareay Chetdei Neak Ta Sampouv Thleay, Srah Pros Srah Srei[2]

Toujours d'après cette légende, le roi de Kokthlok apprenant que son fils avait construit un temple dans l'île de Bassac, envoya dans un sampouv, une grande statue à quatre faces dont chacune représentait l'image de cinq bouddhas[3] et deux statues de "Tévaroub Preah Nearey" et "Neang Omma Phokeavatei".

Ce sampouv, à la suite d'une tempête heurta un rocher de la côte et s'échoua.

La nouvelle en parvint au prince de Bassac qui partit sur un bateau, à la recherche du sampouv. L'ayant trouvé, il fit construire en ce lieu, le watt "Preah Neareay Chetdei", aujourd'hui appelé "Vatt Buon Preah Pheak", c'est-à-dire "monastère des quatre faces de Bouddha". Il fit aussi élever un temple pour y déposer les deux divinités "Preah Neareay et Omma Phokeavatei", temple qu'il nomma "Neak Ta Daun Reay" actuellement "Neak Ta Sampouv Thleay" (génie du bateau percé). Près de ce dernier temple, il fit creuser deux bassins: "Srah Machas Khsatra et Srah Machas Khsatrei" (bassin du prince et bassin de la princesse) aujourd'hui appelés "Sras Pros et Sras Srei[4].

A partir de cette époque, les Cambodgiens de Kokthlok allèrent peupler les trois îles en question et les îles environnantes qui occupaient l'emplacement de l'actuel delta du Mékong. Attirés par l'extrême fertilité des alluvions, ils fondèrent les premiers groupements humains qui occupèrent le Bas-Cambodge devenu la Cochinchine.

L'histoire de la Cochinchine rapportée par le Vénérable Thach Pang reprend à partir de l'avènement du roi Soryavarman II, soit quelque trente siècles après la légende citée au début de l'ouvrage.

Si l'on s'en tient à Malleret, la légende relative à la formation du Srok de Bassac se situe à l'époque néolithique préfouanaise.

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C.
Transformation de la Cochinchine sous le règne de Soryavarman II (1112-1162).


Les quatre premières citadelles:

D'après les manuscrits du Vénérable Thach Pang, repris par M. Chhum Chhiet (Dépêche du Cambodge 19-12-1962), sur l'ordre de Soryavarman II, le gouverneur de Bassac, Ponhea Décho, fonda quatre citadelles administrées chacune par un mandarin khmer:

1º) A Peam (Hatien), la citadelle de "Banteai Peam", administrée par le "Ponhea Meas" (d'où vient "Banteai Meas" ou "Banteai Ta Meas" que les voyageurs européens du milieu du XVIIIè siècle, dont Pierre Poivre, désignaient sous le nom de "Pontamias" (Archéologie du Delta du Mékong, p. 14).

De part et d'autre de Peam (embouchure) où existait une forêt de Treang (lataniers), Ponhea Meas éleva une citadelle au nord de cette embouchure. Depuis, l'emplacement de celle-ci s'appela "Peam Banteai Ta Meas" (Citadelle du Vieux Meas, à l'embouchure) et le lieu situé au sud de cette embouchure se nomma "Treang troeuy thbaung" (latanier au bord sud).

2º) A l'embouchure du Tonlé Bassac, une citadelle administrée par "Ponhea Mos". Les deux bassins construits par Ponhea Mos existent encore. Celui du sud, appelé "Sras Ponhea Mos" est devenu "Trapeang Ta Mos", celui du nord, appelé du nom de sa femme "Sras Chum Teav Ong" est devenu "Trapeang Daun Ong".

L'emplacement de cette ancienne citadelle est situé à trois kilomètres du centre de "Khleang" (Soctrang) dans le khum Nham Lang (Khèt Khleang).

3º) La troisième, à l'est du Bassac, dans la région de "Prey Kor" (forêt de kapokiers) administrée par Ponhea Din. Soryavarman II ordonna d'y construire un palais de repos (Ponhea Chey). La citadelle qui s'appelait d'abord "Prey Kor" (forêt de kapokiers), devint "Prey Nokor" (Forêt de la nation, du royaume).

Quant à Ponhea Din, il descendit jusqu'à l'embouchure du Donnai (coco jeté) pour y construire une autre citadelle qui porta son nom "Banteai Ponhea Din" qui, après l'occupation annamite donna "Gia-Dinh" (Gia pourrait correspondre à Ta et Dinh serait une déformation de Din).

4º) Une quatrième citadelle sur une île à l'embouchure du Mékong, administrée par "Ponhea Prèng" (l'île s'appelle maintenant Koh Ta Prèng). Près de l'embouchure du Mékong, à côté de "Chrouy Russey Kompong Luong" (Binh-trê Giong Luong) une île "Koh Kông" (les Viêtnamiens la désignent sous le nom de Go-Cong) passait pour contenir des objets archéologiques.

"Ces quatre citadelles, écrit Chhum Chhiet, commandent toutes les régions se trouvant dans leurs zones respectives, elles devinrent plus tard les chefs-lieux des quatre provinces qui, avec le Bassac, constitueront les cinq futures provinces de l'ancienne Cochinchine."

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D.
La Réorganisation sous le règne de Ang Chan Ier

Ang Chan Ier réorganisa le territoire du Kampuchea krom.

a) Les deux gouverneurs du Bassac: Ten et Tat.
En 1528, Preah Ang Chan Ier (Chandarajh) nomma Ponhea Ten gouverneur du Sroc Bassac avec le titre de "Ponhea Athik Vong Ten"[5]. Ce dernier mourut en 1551 à l'âge de 73 ans.

Preah Ang Chan nomma pour lui succéder Chau Ponhea Tat qui reçut le titre de "Snet Phoubal Tat". Le nouveau gouverneur commença alors à construire des citadelles et à réorganiser le srok de Bassac et toutes les provinces du Kampuchea krom.

b) Les travaux de Ponhea Tat.
A "Krong srok Treang" (ville du srok de latanier) il construisit une citadelle à l'image de Lovek avec fossés et murs de bambous. Après une inondation, Snet Phoubal Tat ordonna à ses soldats de construire dans la ville de "Srok Treang", "un grenier à riz pour stocker le riz nécessaire à la consommation des habitants de l'endroit en cas de sécheresse ou de famine". C'est à partir de cette époque que les habitants appelèrent leur srok "Srok Khleang" (ville grenier, ou magasin).
En 1533, Snet Phoubal Tat fonda le "watt Khleang" où il fit conserver tout ce qu'il avait écrit ou noté sur ses réalisations qui portent sur:
. la transformation du Srok Treang en Srok Khleang;
. la division du Srok Khleang (Kampuchea krom) en cinq provinces;
. l'organisation de troupes de terre et de troupes de marine;
. la fixation des règlements administratifs et de l'armement des soldats;
. la coutume du nouvel an (chaul Chhnam);
. la cérémonie du sillon sacré pour la culture en saison sèche;
. les jeux guerriers;
. la fête des eaux.

c).- La réorganisation administrative et la division du Srok Khleang en 5 circonscriptions administratives

Snet Phoubal Tat divise le Srok Khleang (Kampuchea krom) en cinq provinces (khèt):

1º) au centre, Khèt Khleang avec la ville de Srok Treang ou Khleang comme chef-lieu de la province et de l'ensemble du territoire de Srok Khleang;

2º) Khèt Preah Trapeang, actuellement Travinh, avec un Chauvaisrok (chef de circonscription) portant le titre de "Montrei Séna Borak Tes". Son territoire s'étendait du Tonlé Bassac à la frontière de l'Annam;

3º) Khèt Pol Leav[6], actuellement Bac-lieu, avec un chauvaisrok portant le titre de "Montrei Achik Séna". Elle s'étendait du Tonlé Bassac à la pointe "Chrouy khmer" ou "Tukhmau" (pointe du Cambodge ou Eau noire); les anciens voyageurs portugais la désignaient sous le nom de Pointe de Camboia, dans leurs cartes;

4º) Khèt de Krâmuon Sâr (cire blanche) avec un Chauvaisrok portant le titre de "Montrei Pichit Séna". Elle allait de Chrouy khmer à Banteai Meas;

5º) Khèt Barach avec un Chauvaisrok portant le titre de "Montrei Séna Pichey Sangream". C'était la province septentrionale allant jusqu'à Angkor Borei.

Snet Phoubal mourut âgé de 98 années.

Son fils, l'Oknha Athikvongsa Long lui succéda (la succession se fait de père en fils avec l'approbation du roi).

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E.- L'administration du Kampuchea krom après le règne de Preah Ang Chan Ier

Le Vénérable Thach Pang s'appuyant sur "l'histoire de Kampuchea krom" sur olles de l'Institut bouddhique de Phnom-Penh" (Preah Reach Pong Savada Krong Kampuchea Chhbab Slekrit ney Puttheasasanak Bandit Phnom-Penh), retrace les principaux faits historiques du Kampuchea krom en donnant les précisions concernant les gouverneurs ou les vice-rois successeurs de Ponhea Tat et les manœuvres des Annamites pour occuper le Kampuchea krom et ce, jusqu'à l'arrivée des Français.

1º) Sous l'autorité de Oknha Athikvongsa Long
En 1556, sous le règne de "Preah Borom Entrea Reachea" (1556-1567), Long le fils de Snet Phoubal Tat est nommé gouverneur (ou vice-roi) du Kampuchea krom sous le titre de "Oknha Athikvongsa Long". Ce titre de gouverneur du Kampuchea krom restera aux autres successeurs de Long, à compter de cette époque. Oknha Long gouvernait le pays "d'une manière normale". Sous son autorité, le Bas-Cambodge connaît la paix et la prospérité.

Son fils, l'Oknha Athikvongsa Long lui succéda.

Sans descendant mâle, Oknha Long meurt à l’âge de 89 ans, sous le règne de “Preah Chey Chettha II” (1620).

2º) Sous l’autorité de Moen Chey
Moen Chey est nommé “Chauvaisrok Srok Bassac” (Le Bassac représente alors tout le Kampuchea krom), sous le titre de "Oknha Tesvongsa", par Preah Chey Chettha II, en remplacement de Okhna Long.

Okhna Tesvongsa Chey se rendit à Pol Leav (Bac-liêu) où il construisit une citadelle (Banteai Seima) dans le village de “Khvèng Khsach” et nota sur olles les principaux faits historiques de son gouvernement.

“En 1623 Preah Chau Krong Hué "Nguyen Say Yoeung" sollicite le roi du Cambodge une certaine partie de Prey Nokor pour y entraîner pendant un délai de 5 ans des soldats prêts à combattre les Chinois”.

Sous le règne de Preah Chey Chettha II (1618-1626), on constate qu’il y avait dans chaque province du Kampuchea Krom “quelques Annamites”. Le roi a épousé une princesse, fille du roi du Hué et l’a honorée du titre de “Samdach Preah Pheaksavatei Var Khsatrei” (1618).

Chey Chettha II répond favorablement au “Sdach Krong Hué” pour l’autoriser à faire entraîner ses soldats à Koh Krabei (Prey Nokor) pendant un délai de 5 ans.
- De 1645 à 1656, les hauts dignitaires et le roi Chau Ponhea Chan, quatrième successeur de Chey Chettha II, réclament à “Preah Chau Krong Hué Annam Kok” le terrain de Koh Krabei prêté par Chey Chettha II. Ces réclamations, par suite des manœuvres de la reine annamite “Preah Pheaksavatei Var Khsatrei” restèrent vaines.

En 1656, celle-ci, à l’occasion de troubles survenus à Prey Nokor, obtint l’intervention armée de “Preah Chau Krong Annam Kok” et ainsi les Viêtnamiens s’emparèrent par la force d’abord d’une petite partie de Prey Nokor et ensuite d’autres provinces de Kampuchea Krom. Les luttes des Cambodgiens contre les envahisseurs commencèrent dès cette époque.

En 1656 le roi d’Annam contrôlait simplement quelques parties de Saigon. Les Cambodgiens continuaient à administrer toutes les provinces cochinchinoises où les rois khmers continuent à nommer les gouverneurs.

A ce sujet, il convient de remarquer que d’après Moura et Leclère, le roi d’Annam sollicita de Preah Chey Chettha l’autorisation de fonder des comptoirs commerciaux à Prey Nokor, alors que d’après le “Pongsavada de l'Institut bouddhique”, c’était l’autorisation d’entraînement des troupes à Koh Krabei qui était sollicitée.

Quoiqu’il en soit, et Moura le souligne, “aucune convention formelle, aucun traité régulier n'intervinrent pour régler et légitimer la prise de possession par les Annamites de tout cet immense et riche pays”.

Le vénérable Thach Pang précise que Moen Chey Okhna Tesvongsa mourut à l’âge de 83 ans sous le règne de Preah Ang Chan Sdach Chaul Sasnachvea (Ream Thupdei Chan) (1642-1659). Ce dernier nomma son frère Chau Ponhea Pech en 1655 comme gouverneur de Bassac.

Ponhea Pech résida également à “Khvèng Khsach” dans la province de Pol Leav. Il mourut à 75 ans.

3) Chau Ponhea Mau
Ponhea Mau succéda à son père, Ponhea Pech, sous le règne de Preah Bat Botum Reachea III (1660-1672). Il eut le titre de “Okhna Athikvongsa” et construisit une autre citadelle à “Put Chhlé” dans la province de Pol Leav où il mourut à l’âge de 98 ans, laissant un fils Moen Tat.

4) Moen Tat
En 1716, sous le règne de “Srei Thammo Reachea” sous la menace des envahisseurs Annamites, Moen Tat, nommé gouverneur à la suite de son père, fut obligé de transférer sa capitale de “Put Chhlé” (Pol Leav) à Kleang, l’ancienne ville de Snet Phoubal Tat, stratégiquement mieux située.

Moen Tat, après s'être installé à Khleang, eut à faire face à la rébellion d'un certain "Snang Lin", environ dix ans si l'on en croit le Chau Athikar du Vatt Pean Samrit (Khèt Khleang).

Moen Tat ayant pacifié le pays, se consacra aux œuvres sociales et religieuses et à l’aménagement du territoire. Il se rendit à Kampuchea Nachak pour inviter les moines les plus instruits à venir enseigner le “Dhamma Vinaya” aux religieux du Kampuchea Krom.

Moen Tat mourut à l’âge de 90 ans, laissant un fils appelé “Saur”.

5) De Moen Saur à Moen Noem
Moen Saur remplaça son père, en 1758, sous le règne de Preah Srei Soryopor (Preah Outey II - 1758-1775). Il protesta contre l’envahissement des Annamites dans la région de Sram (Bay Chhau) et envoya des rapports au roi du Cambodge pour en obtenir des renforts afin de combattre les Viêtnamiens.

Ce fut le commencement des guerres que le Cambodge eut à soutenir contre ses deux voisins, le Siam au nord et à l’ouest, l’Annam au sud, qui l’attaquèrent en même temps.

Moen Saur n’obtient pas les renforts suffisants pour chasser les envahisseurs du Kampuchea Krom. Il mourut à l’âge de 71 ans.

Son fils, Moen Noem le remplaça en 1796, à la mort de Preah Ang Eng. Le Cambodge traversait alors une période difficile qui poursuivit pendant l’interrègne (1796-1806), sous Ang-Chan (1806-1834) et sous le règne de la reine Ang Mey (1834-1842).

Les viêtnamiens profitèrent des troubles intérieurs du Cambodge, des guerres que ce dernier livra contre les Thailandais et de la faiblesse de la jeune monarque, pour attaquer le Kampuchéa krom et l’envahir.

Bien qu’installés au Bas-Cambodge, les Viêtnamiens n’arrivèrent pas à s’imposer aux autorités cambodgiennes qui continuèrent à administrer leurs compatriotes.

Moen Noem, qui entretenait la résistance aux forces annamites, mourut à l’âge de 89 ans.

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F.- L’avènement de Ang Duong - Le Chauvai Sok et la colonisation annamite

Moen Sok remplaça son père au début du règne de Ang Duong, en 1841.

Le roi Ang Duong, à la demande du Chauvai Sok, informa celui-ci qu’“aucun traité, ni aucune convention n’avait été conclu par aucun roi khmer pour céder le Kampuchea krom à l’Annam; s’il existe un traité ou convention quelconque à ce sujet, ce traité ou cette convention sont des faux.”

Ces déclarations de Ang Duong furent consignées par le Chauvai Sok, dans sa biographie rédigée sur olles, malheureusement brûlées pendant la guerre de 1945.

Sous le gouvernement de Chauvai Sok, les Cambodgiens de Cochinchine se regroupent, s’organisent pour chasser les envahisseurs de leurs terres.

Le Vénérable Thach Pang relate ainsi cette lutte:

a) L’encerclement de la résidence du gouverneur de Khleang par l’armée annamite des généraux Binh-Bi et Lanh Sim

En 1841, Okhna Athivongsa Sok reçut donc toutes instructions pour organiser la défense du Kampuchea krom.

Deux ou trois années après son retour de Oudong Méanchey, une armée annamite commandée par les généraux Binh-Bi et Lanh Sim encercla sa résidence à Khleang en lui enjoignant d’appliquer et de respecter la loi annamite, et d’envoyer à cet effet une circulaire à tous les chefs de provinces du Kampuchéa Krom.

Les autorités et les Cambodgiens du Kampuchéa Krom refusèrent d’obtempérer et organisèrent la résistance.

1) Soek Séna Tes mène pendant trois années les combats contre les Viêtnamiens.

En 1846, un homme de “Khèt Treang Troeuy Choeung” ayant appris l’encerclement de la résidence du gouverneur Sok, se rendit à Prèk Takuon, rassembla les volontaires et les entraîna à combattre les Annamites. Les deux généraux viêtnamiens réussirent à obtenir du “Ong Tong Dôc” de Meat Chrouk des renforts composés de Viêtnamiens et de Javanais de Long-Ho, Phsa Dèk et Mythô.

Durant la troisième année de résistance, Séna Tea se rendit à Peam Tuk Sab et à Prèk Pol Leav pour y recruter des troupes, il tomba dans une embuscade annamite au cours de laquelle il périt, ses soldats l’incinérèrent au Watt Khvèng Babèl (Khèt Pol Leav - Bac-Lieu).

2) Séna Suos
Après la mort de Séna Tea, son frère Séna Man prit le commandement des troupes de résistance. Séna Suos se joignit à lui.

Selon le Vénérable Thach Pang, Suos était originaire de Baphnom, ancien adversaire des javanais “Chvea”, il possédait une redoutable épée “Tul Preah Thorni” (l’épée poussée de l'auguste mère la Terre), ayant, dit-on, une longueur de 1m 50, que deux personnes avaient du mal à soulever). Suos regroupa ses hommes et les troupes de Man, massacra les soldats annamites et Javanais se tenant dans dix jonques à “Prèk Ampou Yea”, avant Khleang.

Séna Suos tua Ong Binh Bi sur le bord du “Prèk Ampou Yea” et marcha vers Khleang. À deux kilomètres de ce centre, il envoya secrètement une lettre à Okhna Athivongsa Sok toujours prisonnier des Annamites. Le général annamite saisit cette lettre et envoya contre Suos une autre armée composée d’Annamites et de Chvea, commandée par les quatre “Séna chvea” Tuon Et, Tuon Pho, Tuon Man et Tuon Lo. Suos mit en déroute cette armée et tua les quatre séna chvea.

Un autre général annamite “Ong Lanh Kang” aida Ong Lanh Sim à rassembler de nouvelles troupes pour combattre Séna Suos. Par une tactique habile, Suos ordonna à ses hommes de se cacher sur la rive sud du “Prèk Ampou Yea” tandis qu’il traversait lui-même la rivière avec ses deux “séna èk” - Méroy Siv et Mépean Sok - pour se rendre au nord. Les habitants racontèrent avoir vu Séna Suos portant le sampothol et l’ao déchéas (habit de victoire), Méroy Siv et Mépean Sok portant un court pantalon avec le ao déchéas rouge. Suos réussit à massacrer un grand nombre d’Annamites et coupa le général Ong Lanh Sim en deux morceaux.

3) Séna Suos, héros national meurt sur le champ de bataille.

Un “chvea” soldat de Ong Lanh Kang, pris de panique après la mort de Ong Lanh Sim, proposa au général annamite d’empoisonner Séna Suos. Ong Lanh Kang accepta et ce Chvea “Krou Tuon Mat” déguisé en habitant du Bassac s’engagea dans l’armée de Séna Suos et réussit à lui faire absorber un poison.

Ong Lanh Kang, informé, arrive avec une forte armée envoyée par le roi d’Annam.

Séna Suos, tombé gravement malade, il rend le sang par la bouche et par le nez, donna ses dernières instructions à ses deux “séna èk” et à ses troupes, et se fit transporter sur le champ de bataille, car un “Séna” digne de ce titre doit mourir au combat, dit-il à ses troupes qui voulaient le retenir. “Je ne regrette pas la vie, mais je regrette ma patrie et je dois mourir plutôt que de me placer sous la domination des étrangers”, ajouta-t-il encore.

De bon matin à midi, Séna Suos et ses troupes combattirent et défirent un grand nombre de Viêtnamiens et de Chveas. Malheureusement, une forte averse survint qui aggrava l’état de Séna Suos et hâta son trépas.

Suos mort, le combat cessa. Les Cambodgiens transportèrent le corps de leur chef pour l’incinérer au bord d’un prèk dans un endroit que les habitants appellent actuellement phoum “Dai Ta Suos”, situé dans le khum Phoumi (Khèt Khleang, actuel Soc-trang).

Les Viêtnamiens occupèrent alors presque toute la Cochinchine. Le général Ong Lanh Kang libéra Athivongsa Sok et le désigna comme “Ong Phou” afin qu’il continue à administrer les Cambodgiens de Bassac. Quant aux “montrei” des autres provinces, on les désigna sous le nom de Kay Tong” et le Kampuchéa Krom reçut le nom de “Nam Ky” (pays du sud). Les Viêtnamiens imposèrent ainsi leur régime de colonie à partir de cette époque qui commença, d’après le vénérable Thach Pang, en l’année 1849.

Ce récit du vénérable Thach Pang, recueilli aux meilleures sources puisque l’auteur est originaire du pays dont il rapporte l’histoire, corrobore les témoignages rassemblées par d’autres historiens. Il confirme, comme ceux-ci, l’appartenance de la Cochinchine au royaume du Cambodge.

[1] Membre de l'Institut bouddhique, section de Cochinchine.

[2] Plus loin, à la rubrique "Archéologie du Bas- Cambodge" de nombreuses indications, ressortant de la légende rapportée par le Vénérable Thach Pang, et se rapportant à l'origine des provinces, localités ou monastères du Kampuchea krom seront confirmées par les découvertes de L. Malleret.

[3] Par "Bouddha" il convient d'entendre des êtres supérieurs et non le Bouddha Çakya Muni venu bien après l'époque que concerne cette légende.

[4] L. Malleret cite une autre légende rappelée plus loin.

[5] La transcription exacte, d'après Thach Pang, serait "Athikvongsa".

[6] Ou d'après Malleret "Po Leav".

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